Sur les mandats d’arrêts de la CPI lancés contre la Russie…

Des enfants et leurs institutrices s’abritent dans le couloir de leur école maternelle contre un bombardement ukrainien en cours. L’image et sa légende viennent du site du Comité International de la Croix Rouge.

La Cour Pénale Internationale lance donc un mandat d’arrêt contre le Président Poutine et la commissaire aux droits des enfants Maria Lvova-Belova, sur le fondement d’éléments « traduisant une déportation forcée d’enfants depuis les territoires ukrainiens occupés jusque sur le territoire de la Fédération de Russie ».

Déjà, l’accusation est bancale: l’évacuation de populations civiles d’une zone en état de guerre n’a rien d’une « déportation forcée » en soi. La cour ne donne aucun détail, mais elle se baserait ici sur le fondement de l’article 7 de son statut, relatif aux « Crimes contre l’Humanité », et spécifiquement son 1.d « déportation ou transferts forcés de populations ». Le 2.d précise la notion: « Par « déportation ou transfert forcé de population », on entend le fait de déplacer de force des personnes, en les expulsant ou par d’autres moyens coercitifs, de la région où elles se trouvent légalement, sans motifs admis en droit international ».

Il semble assez clair ici que la Russie n’intervient pas auprès des enfants ukrainiens « par force » en les « expulsant » ou « par d’autres moyens coercitifs » (le mot « coercitifs » est extrêmement important, il traduit l’emploi d’une force militaire ou policière utilisant la menace ou la violence). Le motif « admis en droit international » est simplement l’aide humanitaire aux populations: des enfants, parfois orphelins, sont envoyés en Russie où ils reçoivent une assistance médicale, psychologique, et suivent des cours d’instruction.
L’objectif initial de cet article était de sanctionner les déplacements forcés de populations soit vers des camps (à l’image de ce qu’a fait Israel avec les Palestiniens), soit vers un pays tiers, comme par exemple l’expulsion des arméniens de la zone conquise par les azerbaïdjanais récemment au Haut-Karabagh.

Il y a donc ici un clair détournement de l’objectif initial qui a motivé la rédaction de cet article, qui pose question.

Le statut de la CPI impose à celle-ci de ne pouvoir se saisir que dans le cas d’un refus de l’Etat visé par des accusations de s’en saisir et d’instruire une procédure judiciaire. Dans le cas présent, il n’y a eu apparemment (de ce que je peux trouver) aucune plainte déposée en Russie, sur un quelconque fondement (par exemple « enlèvements »).
Elle peut également se saisir si le Conseil de Sécurité de l’ONU le lui demande en lui donnant compétence pour le faire, lorsque les faits sont tels qu’une procédure judiciaire normale serait inadaptée ou ne serait pas susceptible de venir en aide aux victimes présumées. Dans le cas présent, le CS ne s’est pas saisi d’un tel dossier: il n’y a même pas eu discussion/débat du « problème ».
Il semble donc extrêmement douteux que la Cour puisse lancer un tel mandat d’arrêt à l’encontre de deux personnalités russes, alors qu’elle n’en a pas la compétence.

Enfin, et le problème est de taille: l’Ukraine n’a jamais adhéré au statut de la CPI, même si elle lui a délégué une compétence très limitée dans le temps et l’espace pour les faits commis sur son territoire entre le 21 novembre 2013 et le 22 février 2014 (les événements de Maïdan), puis dans un second temps, pour les faits commis sur son territoire depuis le 20 février 2014. La déclaration vise expressément (mais pas limitativement) les actions russes dans le problème du conflit dans les région séparatistes du Donbass.
La Russie, quant à elle, a une situation bancale vis-à-vis du statut de la CPI. Le gouvernement l’a signé, mais comme aux Etats-Unis, c’est le Parlement qui valide cette signature. Or, la Douma ne l’a jamais fait, ce qui plaçait la Russie dans une situation étrange où elle n’est pas membre de jure stricto sensu, mais où sa volonté initiale a pu entrainer des conséquences juridiques (on considère qu’elle a manifesté son intention, même si elle ne s’est pas concrétisée). En 2013, le Président Poutine a écrit à la CPI pour lui confirmer l’intention de la Russie de ne PAS adhérer au statut, suite à la mise en cause tout à fait politique de son action militaire en Géorgie en août 2008. Le Statut prévoit en son article 127 qu’un Etat puisse se retirer de la CPI: la Russie a manifesté son intention de ne pas adhérer, ce qui ne constitue certes pas sur la forme un retrait pur et simple, mais en a clairement les conséquences juridiques. Les esprits chagrins qui expliqueraient que « oui mais du coup la Russie n’avait pas le droit de le faire parce que c’était pas la bonne démarche » n’auront qu’à consulter la Convention de Vienne de 1969 sur l’application des Traités, article 56, et constater que la Russie s’est effectivement retirée de facto et de jure de la CPI.
La Cour n’a donc pas de compétence sur ce fondement pour émettre un mandat d’arrêt à l’encontre d’un quelconque citoyen russe, à fortiori donc, contre Vladimir Poutine et contre Maria Lvova-Belova.

Il est intéressant de savoir que le procureur à l’origine de ces mandats d’arrêts est Karim Khan, qui, comme son nom l’indique, est… britannique. Il est particulièrement intéressant de savoir que c’est précisément lui qui, à son arrivée au poste de procureur en 2021, a écarté de tout examen préliminaire par la Cour les faits potentiellement répréhensibles commis par la coalition internationale en Afghanistan depuis l’invasion de 2001.

En conclusion, que ce soit en faits ou en Droit, la CPI n’a ni la compétence, ni la légitimité pour procéder à l’émission de ces mandats d’arrêts.
Elle est clairement motivée par des volontés politiques, ce qui est un reproche très récurrent et persistant qui lui est adressé, notamment par les pays africains, qui ont été les seuls pendant très longtemps à subir ses procédures, le plus souvent dirigées contre des chefs d’Etats et membres de gouvernement jugés « indolents » par les pays occidentaux comme la France ou le Royaume-Uni.

En résumé, une fois de plus, la CPI se déshonore en servant d’instrument politique totalement détourné des buts nobles qui étaient affichés comme les siens au moment de son institution en 2002. C’est un pas de plus vers la dissolution d’un ordre international construit depuis 1944 et participant à l’organisation des relations inter-étatiques, malheureusement trop souvent au seul profit de quelques Etats, au premier rang desquels les Etats-Unis et certains pays d’Europe.

Et pendant ce temps-là, les enfants des régions séparatistes du Donbass continuent d’être bombardés régulièrement par les forces ukrainiennes sans que ça n’émeuve personne.

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