Humanité: une histoire optimiste, ou la crétinerie communiste en exemple

Rutger Bregman, Humanité: une histoire optimiste, Seuil, 423p.

Un livre révolutionnaire dont l’objectif est de changer la vision des gens sur la nature de l’être humain, qui serait bon, gentil et prévenant envers son prochain. L’auteur explique que c’est d’ailleurs un fait scientifique attesté, que nous ignorons pourtant. Étonnant? Non, révolutionnaire, on vous dit!

Bregman a rédigé son livre avec une méthode éprouvée, qui est de démonter une thèse pour la décrédibiliser, tout en amenant son lecteur vers sa propre conclusion. Après tout, si tel ou tel discours est erroné, c’est que l’alternative est forcément vraie. C’est totalement redoutable et particulièrement efficace, d’autant plus quand le lecteur est confronté à ses propres aspirations et opinions et conforté dans celles-ci.
Le point fort de ce livre est qu’il fait appel à des connaissances sur notre nature profonde. Notre histoire et notre évolution, notre psyché, notre sociabilité, tout est brillamment appelé en renfort de la thèse de l’auteur.

D’abord incrédule, je me suis laissé prendre au jeu du « et si… ». On a envie d’y croire: le monde dans lequel nous vivons est déprimant, et si nous pouvions avoir confiance envers nos semblables, le monde serait probablement meilleur.


Seulement, j’ai eu un sentiment de malaise indéfinissable et grandissant au fil des pages. Bregman démolit Sa Majesté des Mouches, Stanley Milgram (Soumission à l’Autorité), Philip Zimbardo (the Lucifer Effect), Thomas Hobbes (Léviathan), nous parle de l’auto-domestication de l’être humain, nous compare aux grands singes, nous parle de l’île de Pâques et de sa « vraie » histoire, nous explique que la guerre n’est pas naturelle etc. Il le fait très bien, mais à force d’insister, on sent que quelque chose cloche et nous agace. Et on finit par se rendre compte que Bregman part systématiquement du fait particulier pour démonter le général. Il part de l’exception pour contredire la règle. Et ça, ça s’appelle de la manipulation.

Si j’ai mis de côté mes doutes sur la première partie de l’ouvrage, pour garder un esprit véritablement ouvert et mettre à l’épreuve mes certitudes, il y a eu un moment où j’ai failli fermer le livre, arrivé au premier quart de ma lecture. Bregman tombe dans la bonne vieille opposition Rousseau/Hobbes, résumée à « homme bon de nature » contre « homme mauvais par nature ». Évidemment, Bregman est du côté de Rousseau et explique que Hobbes s’est fourvoyé. De toute évidence, Bregman n’a jamais lu un quelconque mot de Hobbes.


Hobbes expliquait que « l’homme est un loup pour l’homme » dans l’état de Nature, parce que les désirs des uns et les désirs des autres entraient en conflit: la liberté des uns ne s’arrête pas là où commence celle des autres, et cherchera à s’exprimer en dépit d’eux. C’est la loi du plus fort qui règne. Dans un tel monde, la seule manière de se protéger individuellement contre autrui est d’unir ses forces à celles d’autres individus. Une telle union n’est possible que si un pacte social est formé entre les participants, dont l’effet principal est la mise en place de barrières aux libertés de chacun (« …là où commencent celles des autres »). le pacte social est la base fondamentale sur laquelle va se construire une organisation complexe qui prendra le nom d’Etat, qui acquièrera une autonomie propre vis-à-vis de ses membres, une sorte de monstre appelé « Léviathan » par Hobbes, en référence au monstre gigantesque de la Bible. Le Léviathan est ainsi un tout plus grand que la somme de ses parties. Il n’y a chez lui aucune référence au bien ou au mal, parce que tout ceci se passe en dehors de toute moralité. Hobbes passait pour un absolutiste parce qu’il considérait que le spirituel (la Religion) devait se soumettre au corps social (et donc au pouvoir civil), et non l’inverse.
Chez Bregman, Hobbes devient un cynique asocial faisant l’éloge du Pouvoir et de la tyrannie. Et évidemment, Rousseau est paré de toutes les vertus humanistes… Survient ainsi la première attaque contre la Propriété Privée, d’une manière si grossière et crasse que j’ai failli fermer le bouquin à ce moment là.

Ce passage est si central dans Humanité qu’il est difficile de croire que Bregman, qui a clairement fait des recherches importantes, n’ait pas lu Hobbes et n’ait pas sciemment rédigé son texte de façon à manipuler son lectorat dans le sens de sa propre thèse (j’y reviendrais). C’est là que j’ai réalisé que Bregman partait toujours du singulier pour contredire le général, ce que la suite de l’ouvrage me confirmera largement. Surtout, j’ai réalisé que Bregman, si enclin à démolir les arguments qui contredisent sa théorie, se livre sans mesure à une pratique qu’on appelle « cherry picking » (« cueillette de cerises »), c’est à dire à choisir spécifiquement des exemples qui vont dans son sens à lui. Alors qu’il remet toujours en doute les expériences et enquêtes qui tendent à démontrer l’inverse de ce que lui explique, il ne remet jamais en doute ses propres sources et articles, ce qui est pourtant l’un des fondements de la démarche scientifique. Pour un auteur qui affirme sans vergogne que sa thèse est « démontrée par la Science », autant dire que ça fait lever un sourcil. Mais j’ai poursuivi ma lecture, en considérant que Bregman voulait vraiment montrer quelque chose d’optimiste, et que remettre en question ses propres sources ne l’aurait pas vraiment permis.

Mais Bregman se contrefout de nous faire comprendre que « la plupart des gens sont des gens biens ». Non, il a un objectif derrière ça.
Et cet objectif apparaît dans toute sa splendeur dans le dernier quart de son bouquin: faire la promotion du Communisme et de toutes ses variantes contemporaines, présentées comme « révolutionnaires », « incroyablement réussies », « avec des résultats époustouflants ».
Et là, j’enrage, parce qu’il ose nous ressortir le bon vieux « Staline, Mao, les Khmers Rouges, c’était pas le vrai communisme ». « La propriété privée, c’est le mal, il faut tout mettre en commun ». Et sans surprise, je vois débarquer le nom d’Elinor Ostrom pour justifier cette affirmation, comme dans les immondices sur les « communs » rédigées par le collectif Utopia. Sauf qu’Elinor Ostrom n’a jamais été communiste: elle a travaillé sur la gestion commune des ressources détenues par des citoyens lorsque l’État ne peut ou ne veut pas s’impliquer. Son travail sur les « communs » n’a rien à voir avec l’abolition de la Propriété privée: chaque membre de la « communauté » détient l’entière et pleine propriété sur le bien qu’il verse au commun, et peut se retirer quand il le souhaite. Les communs, chez Ostrom, sont à comprendre comme « intérêts communs », et non comme « propriété commune ».


Bregman cite l’État de l’Alaska, qui verse à ses citoyens une pension tirée des revenus générés par l’industrie pétrolière. L’exemple parfait de ce que peuvent générer les communs: de l’argent de poche qui profite à tous pour ce que bon lui semble. Bregman, par contre, ne parle pas d’un autre État qui a fait exactement la même chose, et qui est aujourd’hui l’un des plus pauvres et des plus menacés de la planète: Nauru.
L’archipel de Nauru était extrêmement riche au 20e siècle grâce à l’exploitation de ses gisements de phosphates. Tout était payé par l’exportation de cette ressource, tout était pris en charge par l’État, et les habitants disposaient d’un niveau de vie très élevé. Puis les ressources se sont taries, et comme l’argent qu’elles ont généré a été employé pour les loisirs et la consommation, Nauru s’est retrouvée du jour au lendemain sans aucun revenu ou presque pour payer ses fastueux programmes sociaux et son mode de vie. Nauru est aujourd’hui un cauchemar, plateforme de tous les trafics imaginables, parce qu’il n’y a plus rien d’autre pour faire vivre ses habitants qui souffrent à la fois d’obésité et de malnutrition.
Et Bregman ne peut pas l’ignorer, parce que ce qui est arrivé à Nauru est l’archétype de ce qui se passe quand on applique des préceptes communistes tels que ceux qu’ils professe dans la fin de son livre.

Tout ça pour ça. Un bouquin de 400 pages, qui aborde son sujet un peu par tous les bouts, dans l’unique but de nous faire replonger la tête dans la bassine de purin qu’est l’idéologie communiste. « Le monde est mon copain, rions, dansons, baisons, sans nous préoccuper du lendemain ».
Ce bouquin est dangereux, parce qu’il fait croire à ses lecteurs que le monde est gentil. Ce n’est pas vrai. Bregman n’a jamais voyagé le soir dans un RER ou marché seul dans une rue de quartier dans une grande ville. Il n’a jamais confronté ses sentiments sirupeux à la réalité, lui qui se targue d’expliquer que son livre est bâti sur la Science, oubliant de préciser qu’en fait de « Science », il s’agit de sciences sociales, et que les sciences sociales sont une dialectique et un compromis qui fluctue selon les circonstance, comme et avec la pensée humaine (le racisme et l’eugénisme AUSSI étaient des sciences à leur époque…).

Humanité est de ce genre de bouquins qui prend son lecteur par la main avec bienveillance et l’emmène sur le chemin de l’Enfer pavé de bonnes intentions. Le « réalisme » dont il se prétend être issu est un idéalisme naïf, qui a coûté la vie et continue de coûter la vie de centaines, de milliers de personnes. En niant que notre nature est ambivalente selon les circonstances (et non « fondamentalement bonne »), Bregman rejoint ces cohortes de personnes qui un beau matin se retrouvent avec un couteau sous la gorge sans comprendre que leur prochain n’est pas et ne sera jamais leur « frère ». Il faudrait un bouquin complet pour démontrer (une fois de plus) les erreurs et les contresens de la thèse de Bregman, qui n’a rien d’original puisqu’elle date du 17e siècle.


C’est le problème avec ces gens: 3 siècles de contre-arguments et de contre-exemples ne changeront rien à leur adhésion à une idéologie mortifère. Ils sont dans leur monde, dans leur mentalité sectaire, et le jour où ils acquièrent suffisamment de pouvoir, commence l’épuration des gens qui ne pensent pas comme eux. Dans le cas de Bregman, on sait déjà qu’on nous alignera contre le mur au motif que nous sommes pessimistes, et que notre discours agit comme un nocebo sur le corps social, comme on pendait les « défaitistes » aux réverbères à la fin de la seconde guerre mondiale.

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