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J’ai lu pour vous… William Luther Pierce

Une mise en scène dramatisée qui fait peur, parce qu’après tout, pourquoi ne pas rester dans le thème. Que les hoplophobes se rassurent, les armes sont en caoutchouc et les balles sont des munitions d’airsoft.

Le monde se divise en deux catégories: ceux qui ignorent le nom de William Luther Pierce, et ceux qui le connaissent.

Peu d’auteurs dans le monde peuvent se vanter d’être aussi controversé que celui-ci. Pierce était un auteur américain, né le 11 septembre 1933 et mort le 23 juillet 2002. Violemment raciste et antisémite, Pierce a écrit deux romans, dont un, surtout, est devenu une référence « incontournable » dans les milieux ultra-nationalistes voire volontiers néo-nazis. Ils sont quasiment introuvables en langue française, bannis d’Amazon et des autres grandes plateformes de distribution, et Les Carnets de Turner a même fait l’objet, en 1999, d’une interdiction de publication en France, abolie depuis mais faisant semble-t-il toujours l’objet d’une sérieuse autocensure même de la part des éditeurs « underground ». En fait, même la maison d’édition qui a édité ceux que j’ai lu ne les a pas à son catalogue, et j’ai dû aller chercher les deux romans outre-manche…

Le souffre qui entoure ces écrits est tel que des personnes ayant maille à partir avec les services de l’Etat ont pu être incriminés sur la seule détention de ces ouvrages, qui les cataloguent comme « néo-nazis ». Chaque fois que vous lisez dans un article sur un coup de filet dans les milieux d’extrême droite que la ou les personnes détenaient de la « propagande néo-nazie », il y a de bonnes chances que les Carnets de Turner en faisaient partie. Personne ne pouvant les lire, il est difficile de les juger. J’ai donc pris sur moi de me les procurer, et d’en parler.

Les Carnets de Turner

Rédigé en 1978, ce roman est LE roman de William L. Pierce. Il est également celui qui est l’objet de la plus vive controverse. Que raconte-t-il?

Les « Carnets » se présentent sous la forme d’un journal intime, narrant les événements de la « grande révolution » américaine, qui débute en 1991. Le déclencheur est une loi passée par le gouvernement des USA visant à interdire la détention d’armes à feu (votée en 1989), et qui aboutit à des arrestations massives de militants « de droite » le 16 septembre 1991. Le personnage principal, Earl Turner, bascule dans la clandestinité pour éviter d’être arrêté. Membre d’une organisation dont on ne saura jamais le nom, mais vraisemblablement calquée sur le modèle des ligues dites « néo-nazies » de la fin des années 1970, Turner montre dans ses carnets comment l’organisation se coordonne pour riposter contre le gouvernement. Les « camps » sont assez manichéens, avec d’un côté les « blancs ayant conscience de leur race », et de l’autre, le ZOG, acronyme désignant le « Zionist Occupied Governement ». Vous le comprenez, le roman de Pierce est non seulement violemment raciste, mais également violemment antisémite.

Dans les Carnets, on suit donc Turner dans ses péripéties, que l’on peut diviser en trois phases. La première est celle de la clandestinité, avec une organisation en cellules, les unes dédiées à la propagande, les autres à des actions plus directes. Turner est électronicien et chargé de la communication entre les cellules, et à ce titre est amené à rencontrer divers profils de l’organisation. Il regrette régulièrement que même au sein de l’organisation, parmi les militants désormais entrés en clandestinité, les motivations ne sont pas toujours réellement idéologiques et sont souvent le résultat des circonstances. D’un autre côté, il se rend compte qu’au sein même de l’organisation existe un groupe quasiment ésotérique, beaucoup plus idéologique et fanatique, qu’il finit par rejoindre en tant qu’aspirant. Puis vient la rupture: Turner est arrêté au cours d’une opération antiterroriste, et emprisonné. Torturé, il essaie de résister mais finit par parler, sans révéler l’existence de l’organisation au sein de l’organisation.

Lorsqu’il est finalement délivré du camp où il est interné au cours d’un assaut massif mené par des membres de l’organisation, il est jugé par le groupe secret: il est condamné à mort pour avoir parlé. Mais en raison de ses états de service exceptionnels, il obtient de pouvoir mourir en martyr au cours d’une action d’envergure qui permettra de vaincre le ZOG.

A partir de là, le ton du roman bascule, car l’organisation parvient à s’emparer de la Californie. Là où la première partie mettait en jeu des actions de résistance/terrorisme, la seconde vire à la guerre civile ouverte, avec d’un côté les blancs, et de l’autre, les noirs, les juifs, les latinos, les communistes… La tension n’en finira plus de monter, jusqu’à ce que l’arsenal nucléaire soit mis en oeuvre, rasant des dizaines de grandes villes américaines. Le ZOG, poussé dans ses derniers retranchements, résiste encore au Pentagone. Le roman s’achève alors que Turner s’apprête à s’envoler avec un avion bourré d’explosifs qu’il utilisera pour se fracasser contre l’édifice avant que ses camarades puissent lancer l’assaut final. On sait le résultat de l’opération depuis le départ, puisque l’avant-propos indique que les Carnets de Turner ont été retrouvés par hasard et donnent un aperçu unique sur les événements ayant mené à la Grande Révolution.

Sur le plan simplement littéraire, les Carnets n’est pas un grand roman, même s’il a des qualités romanesques indéniables qui rendent « crédibles » les événements qui se déroulent dans ses pages. Le racisme et l’antisémitisme y sont clairement débridés, mais ne sont pas simplement un défoulement de haine « masturbatoire » comme c’est souvent le cas dans ce genre de littérature. Ici, les personnages non blancs sont exécrables, les juifs sont décrits de manière fidèle aux stéréotypes qu’on attend de ce genre d’auteur, les noirs sont réduits à des brutes volontiers prédateurs sexuels (voire cannibales, après les événements les plus graves qui sont décrits dans le dernier tiers), mais les personnages blancs ne sont pas des parangons de vertu non plus et sont au final d’ailleurs plutôt transparents, justement absorbés dans le grand tout « les blancs ». Les quelques personnages décrits semblent surtout victimes des événements, rarement capables de surmonter ce qui se passe sans subir des traumatismes importants, et ne trouvent finalement leur force que lorsqu’ils sont rassemblés en groupes avec d’autres blancs, en étant « conscients de leur race ».

C’est là l’une des obsessions de William L. Pierce, qui ne cachait nullement ses opinions politiques, et qui sans surprise correspond à l’idéologie fasciste où l’individu isolé ne peut exister, à moins de prendre conscience qu’il est partie d’un tout, appelé « race blanche ». Même s’ils sont fortement imprégnés par cette idéologie, les Carnets n’est pas un roman idéologique. C’est un roman qui, si on en retire les tonalités racistes et antisémites, se révèle être finalement plutôt convaincant dans le domaine de l’action/espionnage, même si ce n’est certainement pas le roman de l’année. Il ne cherche pas à convaincre, mais plutôt à montrer « ce qui pourrait être », selon Pierce, une société « idéale », et comment y parvenir.

D’un certain point de vue, ce roman choque en Occident surtout parce qu’il met en scène des blancs en lutte contre des noirs et des juifs. Pour autant, la littérature sud-américaine, africaine ou asiatique, surtout lors de la période de la décolonisation et des années 1970, avec des personnages locaux en lutte contre les blancs, ne choque pas, voire sont parfois acclamés. Je vois dans les Carnets un contre-point à cette littérature-là, d’autant qu’il a été rédigé en 1978, période où le ressentiment post-colonial a été porté à son comble dans les pays dits du « tiers monde ».

Choquant, très certainement. Raciste et antisémite, sans aucune ambiguïté. Mais de là à l’interdire ou d’en empêcher la réédition… Il me semble au contraire que sa lecture le dédramatise énormément, un peu comme Mein Kampf qui a une aura de livre ultra-antisémite, et qui se révèle être une tirade imbuvable. Certains prétendent que c’est ce livre qui a inspiré Timothy McVeigh dans l’attentat d’Oklahoma City contre le siège local du FBI, mais je ne vois honnêtement pas vraiment le lien (c’est plutôt Hunter qu’on pourrait lier, à la limite…). Si on est capables d’éditer Sade, sans aucun avant-propos ni préface « dénonçant » le contenu, je ne vois pas trop pourquoi les Carnets ne pourraient pas l’être…

Chasseur

Rédigé en 1989, Hunter est le second et dernier roman de William Pierce. Si les Carnets pouvaient présenter un certain intérêt littéraire, ce n’est absolument pas le cas de Chasseur.

On suit les péripéties de Oscar Yeager, vétéran du Vietnam qui décide de lutter contre la « batardisation » de la race blanche en luttant contre le métissage. Pour ce faire, il abat des couples mixtes, jusqu’à ce que ses actes attirent l’attention des médias qui en pointent le racisme. D’autres tireurs commencent à l’imiter, même s’ils sont moins « pros » que Yeager… si bien que celui-ci décide de tuer du plus gros « gibier », en s’attaquant aux promoteurs même du métissage: religieux, politiques, personnalités… Il fait sauter une église où se tient un rassemblement contre le racisme, puis tue un politique membre du Congrès américain en l’étranglant dans les toilettes.

Cette première partie est, clairement, de la littérature masturbatoire, où le héros est un avatar de l’auteur lui-même: fier et sans reproche ni remords, le personnage/auteur tue sans jamais être inquiété, parce qu’il est méticuleux et bien préparé, et ses victimes représentent tout ce qui le dégoutent. Et puis le héros/auteur est un grand séducteur qui a une vie sexuelle exaltante avec une jeune femme incarnant tous les critères de beauté idéaux. C’est quasiment de la fanfic wattpad, pour vous donner une idée du niveau littéraire…

Le roman bascule assez vite, lorsqu’à la fin du premier quart, le « héros » trouve un soir un type qui s’avère être un enquêteur du FBI dans son salon. Loin d’être venu pour l’arrêter, il est en fait venu pour lui proposer un deal: si Yeager accepte de travailler pour lui, il lui donnera des cibles à éliminer, l’alternative étant d’être arrêté voire tué. Yeager accepte, et on entre dans un nouveau cycle d’attaques, qui se concentrent cette fois sur les juifs, ou plus exactement contre les agents du MOSSAD agissant sur le sol des USA, ainsi que leurs complices américains. Il commence par abattre un membre du FBI avec un pistolet à fléchettes empoisonnées qui déclenchent un infarctus, qui permet à son commanditaire d’assurer sa place à la tête du service où il travaille, puis celui-ci lui donne une liste de cibles potentielles à frapper comme il l’entend, la plupart étant juives. Pour couvrir ses actes, il doit faire accuser les palestiniens. Yeager fait sauter une papèterie servant de couverture au MOSSAD, puis tue un membre du congrès dans son propre bureau, ce qui provoque une réaction massive de la part du gouvernement. Son commanditaire est nommé à la tête d’une nouvelle agence contre le terrorisme, et… demande à Yeager d’arrêter.

Le roman tourne désormais à la pure propagande idéologique, plus exactement antisémite. Le « héros » ne comprend pas pourquoi il doit tuer des juifs, et s’ensuivent de très, très longues pages de discussions cherchant à expliquer pourquoi ce sont eux qu’il faut viser plutôt que les nationalistes noirs ou les communistes. Je confesse n’avoir absolument rien retenu de ces débats rébarbatifs, qui cherchent simplement à démontrer l’influence juive sur la politique américaine, et la volonté des juifs de réduire la race blanche à l’anéantissement par le métissage.

Inexplicablement, Yeager, qui a passé le tiers du roman à tuer sans aucun remords des gens en les regardant droit dans les yeux pour la plupart, estime que la violence ne résoudra pas les problèmes des américains blancs, et qu’il faut travailler à les réveiller sur le plan idéologique. De son côté, son commanditaire du FBI pense, lui, qu’il faut utiliser les juifs contre eux-mêmes, en exacerbant les tensions entre les groupes ethniques et idéologiques jusqu’à ce que puisse être mis en place un système d’essence totalitaire qui puisse ramener l’ordre sur tout ce beau monde. En toile de fond, le gouvernement continue de passer des lois perçues comme « anti-américains » (ou « anti-blancs »), alors que le chômage augmente et que le pays s’enfonce dans la violence armée inter-ethnique.

Yeager, devenu militant non-violent, s’engage donc dans la propagande, et rejoint une ligue politique. En rencontrant un homme à l’allure de prophète biblique qui s’avère être un excellent acteur, il va alors s’ingénier à convaincre les foules en usant de cet homme comme télévangéliste pour passer des sermons pro-blancs et anti-métissage…

La fin n’en est pas vraiment une: Yeager finit par éliminer son commanditaire, tandis que les USA s’enfoncent de plus en plus dans la crise, et ce alors même qu’ils commencent à éveiller les consciences…

C’est, honnêtement, nul du début à la fin. Passé le premier tiers, c’est même rébarbatif au possible, avec des discussions interminables sur le rôle des juifs, le rôle de la religion, et ce genre de choses. C’est un roman idéologique pur et dur, un pamphlet mal déguisé sous des atours romanesques, presque intégralement tourné contre les juifs, mais sans jamais s’étendre vraiment sur des arguments construits. Je ne vois même pas ce dont je pourrais discuter ici, que ce soit pro ou anti quoi que ce soit.

Conçu par Pierce comme un roman pour « ouvrir les yeux du lecteur contre les juifs », les arguments qu’il développe sont si nuls que le roman dessert son objectif et passe pour un mauvais tract de propagande. Là où les Carnets ne s’étendaient pas sur l’idéologie et laissaient place à des descriptions de choses entre les événements et les actions, Chasseur n’a même pas de logique interne et se perd totalement jusqu’à ne même pas offrir de conclusion. C’est, vraiment, un très mauvais roman, où on perçoit dès le départ que l’auteur ne savait pas trop au juste où il allait. Je pense que Chasseur a commencé comme une sorte de fanfic masturbatoire où Pierce s’est projeté tuer des noirs, des femmes blanches, et des juifs, avant de tenter de justifier ses écrits par une tartine pseudo-idéologique imbuvable. Non seulement Pierce est raciste et antisémite (et le fait bien savoir), mais il est en plus anti-chrétien, comme les néo-nazis bas du front peuvent l’être. Toute la seconde moitié du roman, où il recourt à Saul comme télévangéliste de foire pour convaincre les blancs chrétiens des bienfaits de la préservation de la race blanche est une insulte absolue envers les blancs croyants, qui constituent l’essentiel du public-cible de Pierce. Tout le paradoxe de Pierce est que ce qu’il écrit contre la religion chrétienne, c’est à dire essentiellement que le christianisme est une religion juive et donc « anti-blancs », est précisément issu de la littérature talmudique du 19e siècle qui a mené à l’émergence du courant protestant du « judéo-christianisme », un courant d’essence sioniste qui justifie le soutien des USA à Israel!

Pour justifier son sentiment anti-chrétien, jamais Pierce n’évoque le courant paganiste à la racine de l’idéologie néo-nazie qui est la sienne, issue des écrits du courant Völkish allemand et représentés de la manière la plus aboutie par le Mythe du XXe Siècle d’Alfed Rosenberg, qui inspirera toute l’imagerie pseudo-païenne de la SS d’Heinrich Himmler. En fait, c’est même à se demander si Pierce a la moindre once de culture et de connaissance sur les choses qu’il prône, tout laisse penser que ses écrits sont avant tout des opinions basées sur des préjugés plutôt que des convictions nées de l’expérience et de la connaissance.

Pierce n’aime pas les noirs, donc il est raciste, il est antisémite, donc il est néo-nazi, plutôt que l’inverse: il n’est pas animé par l’idéologie, mais habille sa haine sous des oripeaux idéologiques. C’est, purement, un véritable néo-nazi: une pâle et pathétique imitation de l’original, qui cherche à intellectualiser sa haine et à la justifier. C’est d’ailleurs évident dans le fait qu’il parle de livres et d’auteurs ayant écrit sur le sujet, sans jamais donner un seul titre ni nom. Il pouvait pourtant en citer beaucoup, ne serait-ce que l’un de ses maîtres à penser, Francis Parker Yockey et son célèbre ouvrage « Imperium », ou « le juif international » d’Henri Ford… S’il ne l’a pas fait, c’est, je pense, parce qu’il refusait de partager la vedette avec d’autres auteurs. C’est souvent le cas chez ce genre d’homme: ils doivent être les seuls sur l’affiche, refusant de la partager avec d’autres, même décédés, parce qu’ils se fantasment en nouveau Fürher, quand ils ne sont que de pathétiques petits hommes rabougris bouffés de haines et bouffis d’orgueil.

Sepulturum, de Nick Kyme

Un roman dans lequel je ne suis jamais vraiment rentré. Je ne sais pas si c’est dû aux chapitres excessivement courts et découpés entre plusieurs points de vue qui n’ont pas le temps de se développer, mais j’ai trouvé cette lecture rébarbative. Et ce n’est pas parce que je l’ai lu en VO, j’ai l’habitude. C’est juste… plat. Comme je l’ai dit, c’est très certainement la forme qui fait que cette histoire m’a parue chiante à lire, mais la construction du texte n’est pas sans défauts.

On suit une inquisitrice, Morgravia, qui a perdu la mémoire. J’avoue que le coup de la perte de mémoire qui va se révéler par la suite un élément clé du scénario, ça me lourde un peu. Dans le contexte, elle se trouve aux prises avec une épidémie zombie alors qu’elle essaie de comprendre sur quoi elle enquêtait. En parallèle, on suit les mésaventures de Cristo, qui essaie de sortir sa fille d’un gang. C’est tellement parallèle qu’en fait, on lit deux romans différents, qui ne se rejoignent pour ainsi dire jamais, et qui ne sont liés entre eux que parce qu’ils se déroulent vaguement dans les mêmes lieux, au même moment.

Alors bon, il y a un peu d’action, un peu de tension, et… et on s’emmerde, franchement. Il est très évident dès le départ que la plupart des personnages nommés sont pourvus d’un « plot armor » qui va les emmener jusqu’à la résolution de leur arc narratif, si ce n’est jusqu’à la fin. Plusieurs ne servent que de porte-flingues, et n’ont aucun intérêt pour l’histoire. Les zombies eux-mêmes disparaissent quasiment arrivé à la moitié du roman (allez, les deux tiers, soyons généreux), ce qui fait finalement peu de présence puisqu’ils n’étaient présents qu’à partir du quart. le reste est classique: des « flics » impuissants, des relations de couple séparées par les zombies, des fanatiques religieux.
Même la révélation finale tombe à plat, et le dénouement n’a aucun sens.

Il y a quand même quelques bons moments de tension ou d’action, qui sauvent l’ensemble de la catastrophe. Les personnages ont à peu près une évolution (mention spéciale à la fille de Cristo qui passe son temps inconsciente… la paresse scénaristique dans toute sa splendeur), principalement dûe au « secret » de leur passé finalement révélé.

C’est franchement pas de la grande littérature, et je cherche encore le côté « horrifique » sensé marquer la collection. Oui y’a des « zombies », et alors? Ils servent de chair à canon gore plus que de monstre angoissant…

Je suis généreux en accordant la note moyenne à ce bouquin. Pas sûr que je l’aurais autant été si ça n’avait pas été l’été et les congés.

The Oubliette – J.C. Sterns

Mais qu’est-ce que j’ai lu?

Honnêtement, cette première incursion dans le domaine horrifique à la sauce Warhammer 40000 est une cruelle déconvenue. C’est bien simple: ce bouquin n’a strictement aucun intérêt. Seule la personnage principale connait une évolution à travers le livre, encore que ce soit de façon franchement ultra-limitée. le reste ne sert que de porte-flingues, de faire-valoir, et de porte-manteau.
L’intrigue aurait pu être intéressante: une jeune gouverneure tout juste nommée à la tête d’une planète fait face à un complot dirigé contre elle, orchestré par une famille de pourris qui convoite le pouvoir. En échappant à une tentative d’assassinat, elle libère sans en mesurer les conséquences une entité abyssale… et voilà. C’est tout.

Le début est simplement interminable, on se perd dans des considérations sans fin sur le passé de la famille au pouvoir, sur la complexité du palais et ses chambres secrètes, et les intrigues politiques dont on ne retient en fait rien tant les noms n’évoquent rien et ne sont là que pour étoffer un récit autrement aride. Une seule famille ressort de tout ce bordel, c’est évidemment la famille de pourris qui sont ultra-pourris et sadiques et criminels et tout ce que vous voulez. La tentative d’assassinat survient tardivement, et la véritable intrigue peut ainsi commencer: qu’a donc libéré l’héroïne? Bon, on s’en doute, il s’agit d’un démon, bien qu’on ne sache jamais vraiment quel genre de démon exactement.

On n’en saura rien: le peu de recherches que l’héroïne fait pour savoir à quoi elle a affaire se résument en 3 pages qui ne nous apprennent en fait rien.
Et, je pense que c’est un record, l’intrigue du bouquin est résolue en une quinzaine de pages, sans enjeu ni explication.

Soit c’est un bouquin beaucoup trop long qui aurait dû se résumer à une longue nouvelle (et aurait été beaucoup plus dynamique et efficace ainsi), soit c’est un bouquin trop court et expéditif qui aurait nécessité beaucoup plus de développements. Dans tous les cas, sous sa forme telle quelle, c’est un échec, un livre inutile qui n’apporte strictement rien, et duquel ne sourd absolument aucune horreur ni même d’élément un tant soit peu horrifique.

C’est nul, totalement nul, et j’ai franchement perdu mon temps à lire ce bouquin, qui n’a même pas l’intérêt de montrer la vie sur une planète impériale loin des guerres et du bolt-porn habituel.
Enorme déception.

Qu’est-ce que la souveraineté? – Gérard Mairet

Franchement plutôt nul.
Cette édition augmentée du Principe de Souveraineté paru en 1997 est enrichie d’un court essai absolument navrant, « Recommencement d’Europe », qui n’est qu’un plaidoyer pro-Union européenne dont le discours est juste imbuvable. Oui, il parle du conflit russo-ukrainien, mais en fait surtout une opportunité pour le projet fédéraliste de l’UE. C’est nul, et j’irais même jusqu’à dire que c’est minable que d’utiliser un conflit meurtrier pour faire avancer des thèses déjà contestables.

Sur le reste…
Gérard Mairet nous livre un ouvrage sur un sujet qu’il présente comme fondamental, mais où il ne va jamais dans le détail. C’est une discussion, que j’ai trouvé franchement verbeuse et rasoir, qui se contente de parler de Machiavel, Jean Bodin, Kant, Hobbes, Montesquieu, Rousseau, Marx. Ici et là sont glissées quelques références comme Guizot, quelques pages consacrées à Annah Arendt pour faire bonne mesure (ça fait toujours bonne mesure de parler de Annah Arendt, même quand on dit n’importe quoi ou des choses lues dans une biographie de presse), Spinoza, Weber (parce que bien sûr, Weber est incontournable dans ce type d’ouvrage). On rajoute un passage sur Clausewitz parce qu’on a cité Hegel en ouverture, et parce que c’est à la mode.

Au final, qu’est-ce qu’on a?
On constate que l’auteur a surtout très bien compulsé ses fiches de lecture. On est dans la généralité, le résumé, le condensé, mais réinterprété dans le sens du sujet, quitte à trahir l’oeuvre commentée. D’ailleurs, l’oeuvre en question sera très peu citée, même pas identifiée autrement que par son titre. Parce que oui, je ne vous l’ai pas encore dit, mais ce bouquin n’a même pas la décence de fournir une bibliographie, il faudra se contenter de notes de bas de page, balancées une fois, et tant pis pour ceux qui ne suivent pas le fil de la pensée de l’auteur de A à Z d’un seul trait.
Il n’y aura jamais d’analyse approfondie d’un texte servant à Gérard Mairet à « réfléchir », « analyser », « discourir ». le texte est en fait un prétexte à envoyer une salve d’idées, certaines saugrenues qui font sérieusement douter que Mairet ait lu le bouquin dont il parle. C’est particulièrement étrange dans le cas de Hobbes, qu’il a traduit (Leviathan en 2000), mais aussi de Bodin, qu’il a édité en 1993.
Un exemple: « Quant à la souveraineté elle-même elle est, dans son concept, la puissance de donner loi: elle est, en d’autres termes, la volonté du souverain. Faire de la volonté — volonté humaine — la puissance ordonnatrice de la république, tel est le projet général de Bodin dans les Six Livres. Un tel projet revient donc à disqualifier tout fondement non humain, naturel ou divin, de l’Etat historique, lequel, dès lors, mérite en effet d’être appelé « historique ». Produit de la volonté, résultat de la force, l’Etat est pour ainsi dire cause de soi et c’est précisément cette autonomie de la politique humaine qu’exprime le principe de souveraineté: auto-nomie de l’action humaine se donnant à soi-même sa loi. »
Je pense que Mairet s’est contenté de ne lire que le chapitre VIII du livre I de la République de Bodin, « De la Souveraineté ». Bodin place toujours et avec insistance le souverain sous le patronage divin, en ce que Dieu a placé le souverain à sa place sous la réserve que celui-ci respecte toujours la Foi et surtout la Justice. Quant à la république elle-même, Bodin prend énormément de temps dans les premiers chapitres pour asseoir l’ancienneté des lois, et des formes de gouvernement, pour en démontrer le caractère… naturel. Dire, donc, que Bodin disqualifie les projets « naturel » (émergeant du Droit Naturel) ou « divin », c’est une erreur crasse et un aveu d’ignorance: le genre de bévue qu’un étudiant peut commettre quand il commente un ouvrage qu’il n’a pas lu.
De même, affirmer que la république, chez Bodin, est « résultat de la volonté, produit de la force », c’est ne pas avoir lu ce qu’il écrit à propos de la tyrannie. C’est tout le contraire chez Bodin, qui plaide pour la monarchie royale (et non pas seigneuriale), c’est à dire la monarchie limitée par les lois fondamentales, le droit naturel et le droit coutumier, même si hors ces limitations, le roi est « absolu ».
Franchement, je ne comprends pas comment Mairet a pu écrire ça, à part en supposant qu’il s’est contenté de fiches de lecture et s’est laissé emporter dans un élan lyrique au lieu de réellement travailler sur les oeuvres qu’il invoque. On ne peut pas affirmer que Jean Bodin détache la souveraineté de la mystique divine quand le même Bodin rédige de la Démonomanie des Sorciers, un ouvrage dénonçant la sorcellerie comme affront fait à Dieu…

Et c’est du même acabit tout au long des 300 pages. Des envolées littéraires, de la philosophie de posture, mais qui n’entre jamais dans le détail, ne sort jamais de la zone de confort des auteurs bien connus (visiblement, pas vraiment, en fait). Dès qu’on sort de ces auteurs-là, c’est la catastrophe: Charles Loyseau est ainsi présenté comme un « disciple de Bodin » alors que les deux ne se sont jamais rencontrés. Loyseau a placé son Traité des Seigneuries dans la lignée de Jean Bodin, mais c’était à titre d’hommage pour un auteur apprécié pour une notion en particulier (la distinction sur les types de royautés), pas pour saluer un maître à penser…

Alors voilà, je ne vais pas faire tous les auteurs parce que ça va être aussi long et chiant que ce bouquin, mais tout est du même tonneau. Je crois que simplement, Gérard Mairet ne sait pas de quoi il cause, il raisonne en philosophe sur des auteurs qui étaient d’éminents juristes et politiques. Les auteurs qu’il cite sont des prétextes à discourir sur un thème relié à la Souveraineté, du moins ce que Gérard Mairet imagine être la Souveraineté. Ouvrir son livre sur Machiavel, ne jamais aborder le moindre évènement historique fondateur de la notion, ne pas parler des auteurs majeurs comme Grotius, Pufendorf, de choses incontournables comme la pratique diplomatique (consistant à reconnaître la souveraineté d’autrui pour traiter avec lui…), les conceptions juridiques, les guerres (la guerre de trente ans qui débouche sur les Traités de Westphalie, les conquêtes coloniales, la guerre d’indépendance américaine…), ou simplement des institutions internationales dans le cadre desquelles la souveraineté dans sa conception contemporaine existe et s’exerce…

Non, franchement, cet essai est nul (et même faux!), à tous les points de vue. C’est une perte de temps (et d’argent). C’était inutile de rééditer ce texte, surtout avec cet essai affligeant qui le précède.

Les Chevaliers – Philippe Contamine

Quelle catastrophe… Ce livre est simplement une arnaque. Pourquoi? Parce qu’il se présente comme un livre de qualité universitaire, scientifique, alors qu’il n’est qu’un ramassis d’articles parus dans des revues généralistes, forcément lacunaires, succinctes et parfois partiales. Nulle part ce n’est précisé sur le 4e de couverture: tous ces articles ont été publiés dans la revue L’Histoire, ou un de ses hors série, la plupart viennent des Collections de l’Histoire n°16. Quelques encarts ont été rajoutés ici et là, mais on est très, très loin d’un ouvrage approfondi, ou d’articles spécifiques.

Alors bien sûr, les auteurs sont de grands médiévistes dont les noms sont connus, et ce qu’ils expliquent dans ces articles n’est pas un travestissement de la réalité… du moins pas directement. Par la force des choses, un article de revue généraliste, même sérieux, n’offre pas la place d’une revue scientifique. Entre 1500 et 5000 mots constituent le standard habituel des « dossiers » de presse, là où un article scientifique en fait dix fois plus. Cela entraine forcément des raccourcis, des approximations, des pertes de nuances, qui ne rendent pas compte de l’ensemble, et donne une image « moyenne » qui n’est qu’illusoire tant les disparités à l’échelle du territoire du royaume de France sont parfois énormes.

Très franchement, c’est un ouvrage qui n’a aucun intérêt, même introductif (d’autant moins que le premier article explique que la chevalerie n’était finalement que des hommes de main oscillant entre rapines et quasi-mercenariat, comme si l’image du landsknecht s’appliquait au chevalier médiéval… pardon?).
Ceci d’autant plus que, datant de 2006, il y a des ouvrages beaucoup plus approfondis et pertinents sortis depuis (Dominique Barthélémy, Jean Flori…), y compris des rééditions d’oeuvres de recherche classiques (comme, par exemples, celles de Georges Duby).
Bref, passez votre chemin, il y a mieux.

La Guerre Antique – Jean Lopez

Je suis extrêmement déçu de cet ouvrage que j’ai acheté en me fiant au nom de Jean Lopez plus qu’au résumé. J’aurais bien fait de le lire!

Ce livre n’est qu’une compilation d’articles parus dans leur quasi totalité dans la revue Guerre & Histoire. Il n’y a là rien de nouveau pour moi, puisque j’avais déjà les revues… sauf qu’ici, il n’y a que le texte brut de l’article. Tout ce qui faisait l’intérêt des articles, c’est à dire surtout les cartes et en second lieu les documents d’illustration, passe ici à la trappe, rendant ces articles franchement sans aucun intérêt.


Là où on pouvait accepter le manque de développements dans les articles d’une revue, on ne le pardonne pas dans un livre de ce type. Les développements sont à peu près absents, si bien qu’on passe à côté de détails importants, du contexte, et de ce qu’on trouve normalement dans un vrai livre: biographies concises, contexte géographique, politique, historique, conséquences. Ici, forcément, rien de tout ça, c’est à peine survolé.


Le pire est vraiment l’absence des cartes, qui aidaient au moins à se représenter les batailles abordées ici. Certains articles étaient d’ailleurs construits autour de ces cartes, justement, et leur absence fait ici vraiment défaut.


C’est la dernière fois que j’achète un ouvrage sur le seul nom de Jean Lopez, qui se fourvoie décidément beaucoup ces derniers temps dans des ouvrages bâclés, comme ici (et dans « Les Dix Meilleures Armées de l’Histoire » et « Les Grandes Erreurs de la Seconde Guerre Mondiale », eux aussi simples compilations d’articles de Guerre & Histoire…), voire totalement nuls (et mensongers, en plus!!!) comme celui qu’il a commis avec Michel Goya sur la Guerre en Ukraine. C’en est au point que je me demande même quelle est la valeur réelle de son travail sur la seconde guerre mondiale, au final, alors que c’est un travail qui fait référence (ou sensé faire). Triste.

War of the Flea – Robert Taber

Clairement, cet ouvrage est à la fois un classique et un incontournable pour quiconque s’intéresse aux « conflits asymétriques » et aux « guerres révolutionnaires ».

Même s’il date de 1965, ce War of the Flea (traduit « Guerre de la Puce » en 1969 chez Juliard) est parfaitement pertinent de nos jours. Si son contexte de rédaction est celui de la « guerre froide » et des guerres de décolonisation, Robert Taber sait capter l’essence des conflits qu’il évoque pour en tirer une analyse synthétique riche et particulièrement intéressante. Les conclusions qu’il en tire, ainsi que les extrapolations auxquelles il se livre sur leur base, se sont révélées être les bonnes: l’avenir lui a donné raison.

Au long des 11 chapitres qui constituent ce livre, Taber aborde la guerre civile chinoise et la révolution maoiste, le conflit décolonial en Indochine et en Algérie, la révolution cubaine, la révolte irlandaise des années 1920, le soulèvement chypriote contre l’occupation anglaise, la rébellion malaise, l’insurrection philippine, et évoque d’autres mouvements. Il analyse leurs forces, leurs succès, mais aussi leurs limites et leurs échecs, comme lorsqu’il explique parfaitement pourquoi la révolution communiste en Grèce a échoué après guerre. Si Taber n’évoque pas les diverses tentatives révolutionnaires de l’immédiate après-première guerre mondiale en Allemagne, qui aurait pu être extrêmement intéressant à confronter à ses théories, il n’en reste pas moins que ce travail est très complet pour son époque et montre les divers cas de figure des mouvements de résistance/rébellion/révolution qui ont marqué leur temps au cours du 20e siècle (jusqu’en 1965, donc: la guerre au Vietnam commençait à peine).

Le chapitre 10 est une sorte de résumé des grands principes auxquels les mouvements de guérilla doivent se soumettre si ils veulent réussir, et quels sont les écueils qu’ils doivent éviter. En somme, c’est un résumé des enseignements que l’on peut tirer des divers exemples abordés dans ce livre. Le chapitre 11 est une extrapolation et un plaidoyer pour les Etats-Unis de s’occuper de l’Amérique du Sud plutôt que de l’Asie, et là dessus, clairement les années 1970 et 1980 ont démontré à quel point il a été entendu.

Globalement, c’est un livre excellent. Ses principes, bien que tirés de conflits engendrés par des factions communistes, peuvent s’appliquer à d’autres conflits, notamment liés à l’islamisme en Afrique ou au Moyen-Orient. Ce n’est pas la nature idéologique de l’opposition « révolutionnaire » (ou en tout cas contestataire) qui compte, mais bien le fait qu’il s’agisse d’une force d’opposition armée et asymétrique.
Surtout, Taber fait bien la différence entre le terrorisme et la guérilla, en basant le critère de distinction sur la nature de la cible visée: s’il s’agit de civils, c’est du terrorisme, s’il s’agit d’officiels ou de symboles du gouvernement, c’est une guérilla. Et ça change tout dans une lutte avant tout politique: là où la guérilla doit se concilier impérativement le soutien populaire pour survivre et ne peut donc pas se permettre de frapper des civils innocents, le terrorisme apparaît comme une violence sociopathique qui ne peut que dresser l’ensemble d’une société contre ceux qui y recourent. Voilà qui prolonge pas mal de réflexions sur les « attaques sous faux drapeau »… et interroge sur les manipulations de masse par la violence.

Un livre excellent, qui ne se lit pas d’une traite mais doit au contraire être lu au calme en prenant son temps pour en tirer tous les enseignements. Dommage qu’il ne soit plus traduit en français, et que son influence sur les états-majors contemporains soit inexistante. Il y a beaucoup, beaucoup à redécouvrir ici, et il y a très probablement de quoi questionner sérieusement Gallula et ses continuateurs.

Ces guerres qui nous attendent – nouveaux scénarios

Livre plutôt court qui montre assez bien comment sont bâtis les scénarios d’analyse prospective.

Le travail de la « Red Team » est présenté brièvement en introduction. Deux scénarios sont ici présentés, le premier portant sur une hypothèse de conflit organisé autour de manipulations génétiques sur l’environnement (mais aussi visant des êtres humains), le second portant sur un hypothétique conflit dans lequel une transition énergétique totalement décarbonnée a radicalement changé l’approche des militaires vis-à-vis de leur métier.

La première hypothèse est très bien exploitée et reste plutôt « vraisemblable », même si bien sûr les extrapolations sont nombreuses dans les prémices de ce scénario. La technologie d’édition génétique nous est familière et les applications qui en sont faites ne sont guère éloignées de ce qui peut se pratiquer dans certains secteurs de recherches à l’heure actuelle, même si c’est à une toute autre échelle, et qu’on est encore loin de pouvoir militariser ces technologies biomédicales.
J’en profite ici pour signaler que le terme « weaponization » qui est employé à plusieurs reprises dans les divers textes est un anglicisme assez exaspérant. En France, on emploie le terme de « militarisation » depuis très longtemps, ainsi que le néologisme « arsenalisation » depuis une vingtaine d’années. La préservation d’une Nation, qu’elle soit concrète ou hypothétique, passe aussi par la défense de sa langue.

Le second scénario est quant à lui beaucoup moins réaliste et vraisemblable, même si il extrapole l’idée d’une transition énergétique complète et appliquée au domaine militaire. Les prémices font appel à des technologies qui ressortent actuellement et probablement pour longtemps de la science-fiction, et bien que le scénario construit à partir d’elles soit logique et bien déroulé, il démontre aussi clairement les limites des technologies décarbonnées dans l’action militaire: le moindre problème de batterie immobilise instantanément les opérations et rendent le soldat extrêmement vulnérable.
Il faut dire que ce n’est pas vraiment dans la philosophie française que d’aller vers le tout technologique, comme l’a démontré l’échec du système FELIN: trop lourd, trop vulnérable, pas assez pratique, pas assez décisif, ce type de système technologique nécessite une chaine logistique et un entrainement très éloignés (pour ne pas dire inatteignable) de ce qui se pratique dans notre pays, où on préfère des soldats agiles et rustiques.
Mais c’est aussi l’intérêt de ces scénarios: dérouler des hypothèses de potentiels « systèmes de rupture » à venir, et voir où ça peut mener concrètement, pour valider ou invalider la réflexion de départ.

L’ouvrage est assez court et ne donne à voir qu’une partie de ce que produit la « Red Team », et ne rend pas compte des travaux de la « Blue Team », côté militaires, pour des raisons à priori logiques mais qui interrogent lorsqu’on voit certains articles et publications de nos militaires dans des revues françaises ou étrangères. Au moins, les travaux de la Red Team (dont les noms des membres sont donnés en début d’ouvrage) sont parfaitement compréhensibles.

On reste un peu sur sa faim malgré tout, mais la démarche est intéressante, et le format poche est bien adapté à la brièveté de la publication. Seul bémol sur l’édition poche: la relative illisibilité des deux documents cartographiques appuyant chaque scénario.

La Monarchie de France – Claude de Seyssel

Un ouvrage important et malheureusement trop rare, rendu ici à la vie dans une édition fidèle au manuscrit original… et peut être un peu trop fidèle.

Renzo Ragghianti, à qui l’on doit cette réédition d’un texte devenu indisponible, a fait deux choix éditoriaux qui peuvent laisser un peu perplexe le lecteur désireux de découvrir Claude de Seyssel.
Le premier est d’avoir travaillé sur le manuscrit du texte, plutôt que sur l’une des éditions établies du temps où l’auteur était vivant (une seule correspond à ce critère, l’édition de 1519). En choisissant le texte primaire au lieu de textes remaniés, on obtient certes un ouvrage proche de l’esprit de l’auteur tel qu’il l’avait conçu au moment de sa rédaction, mais on se prive de certains développements et de certaines corrections que l’auteur aurait pu apporter à son texte. Renzo Ragghianti essaie de régler ce problème en rapportant ces additions et modifications en note de bas de page.
Le second est d’avoir fourni une copie conforme du texte du manuscrit, sans harmonisation ni modernisation, ce qui rend sa lecture pénible et laborieuse, et restreint beaucoup le public potentiel de cet ouvrage.

Renzo Ragghianti mentionne dans son propos introductif combien il doit au travail d’édition établi par Jacques Poujol, un demi-siècle avant lui, mais présente son travail comme beaucoup plus ambitieux que celui que Ragghianti livre ici: de façon surprenante, il ne semble pas avoir souhaité bâtir sur ce qu’avait déjà réalisé son prédécesseur, même s’il en reprend en partie les notes.

Sur le texte de Seyssel lui-même, il est important d’expliquer que son impact intellectuel a été très limité, ce qui explique que Claude de Seyssel ne soit pas si connu que ça et ne fasse guère partie du socle de base de l’enseignement commun classique en histoire politique et du Droit. Son texte est somme toute classique et n’apporte pas grand chose de nouveau à sa matière. En fait, il se remarque surtout pour l’originalité de son analyse de la société française, catégorisée en 3 partie: Noblesse, Peuple Gras (bourgeois, petits commerçants, fonctionnaires et tenants d’offices juridiques et judiciaires…) et Peuple Menu (artisans, paysans, travailleurs…).

Divisé en 5 partie, ce travail de description de la Monarchie de France se propose d’expliquer au fil de son propos pourquoi le Royaume de France est le plus grand parmi ses pairs, tout en fournissant au Prince (le Roi de France) des conseils de gouvernance pour que le Royaume reste ce qu’il est.
Partisan des principes du régime mixte, Seyssel explique que ce qui fait la grandeur de la royauté française est sa modération et son acceptation des freins à sa puissance (religion, justice et police). On comprend ici pourquoi Seyssel n’a pas marqué son temps plus que cela: il s’inscrit en partisan d’une monarchie modérée, en plein essor de ce qu’on a appelé l’absolutisme.

Ce texte, contemporain du Prince de Machiavel, reste important pour l’histoire de la pensée politique en ce qu’il offre un aperçu du rayonnement que pouvait avoir le Royaume de France sur le reste de l’Europe et en particulier l’Italie (Seyssel est italien d’origine). Il offre une vision du Royaume qui peut surprendre, comparé à ce que des auteurs contemporains ou postérieurs ont pu produire.
Il est, pour cela, dommage de ne pas avoir voulu moderniser un peu le texte, pour le rendre plus accessible et intelligible pour les lecteurs d’aujourd’hui, d’autant plus que ce texte est assez court (~150 pages).

Le Koguryo, un royaume de l’Asie du Nord-Est

Une somme incontournable pour quiconque s’intéresse sérieusement à l’histoire de la Corée.

Il faut préciser d’emblée qu’il s’agit d’un ouvrage aux standards universitaires, et que sa lecture n’a rien à voir avec celle d’un roman ou d’un livre d’histoire « grand public ». En contrepartie, on accède aux faits et aux éléments archéologiques connus, sans extrapolation, et remis dans leur contexte d’époque et actuel.

L’ouvrage se scinde en deux parties. La première resitue l’historique connu et les éléments de contexte géopolitique qui entourent l’étude du royaume du Koguryo. La chose est nécessaire, puisque les enjeux politiques sont importants, d’une part pour la Chine, qui estime que le Koguryo est un royaume d’essence chinoise, d’autre part pour les deux Corées, qui assimilent les trois royaumes à leur roman national de manière différenciée. C’est aussi un enjeu pour les japonais, puisque le Koguryo semble s’être mêlé à l’histoire du Japon antique à travers des conflits armés. L’histoire de la péninsule coréenne est d’ailleurs marquée par des tentatives de manipulations de l’Histoire de la part d’un peu tout le monde dans la région, ce qui explique les difficultés actuelles d’interprétation et parfois d’accès à certaines zones. La Corée du Nord n’est pas particulièrement connue pour sa politique d’accueil des scientifiques étrangers, surtout lorsqu’ils sont européens…

La deuxième partie est un inventaire exhaustif des traces écrites laissées par le Koguryo. Il y en a peu, elles sont souvent en mauvais état, mais attestent de l’existence de ces trois royaumes (trois capitales sont connues). Les textes sont ici présentés dans leur version originale et dans une proposition de traduction.

Il s’agit clairement d’un travail de référence, largement sourcé et appuyé sur des travaux antérieurs. L’ouvrage est d’autant plus réussi qu’il comporte de nombreuses photographies et cartes en couleur, qui restituent au mieux les informations disponibles, et illustrent parfaitement les tombes peintes.

Olivier Bailblé et Ariane Perrin ont accompli un travail remarquable et sérieux, qui ne pourra que satisfaire les lecteurs intéressés par l’histoire coréenne. Une très grande réussite scientifique et éditoriale de la part de l’Atelier des Cahiers, que je ne peux que remercier pour cette passionnante découverte.