Les racines de la guerre russo-ukrainienne

Vous pensez tout savoir de ce conflit parce que vous vous êtes tenu au courant en lisant tous les articles de presse et en suivant de près l’actualité sur les chaines d’information en continu? Oubliez tout ce que vous savez, parce que personne n’a jamais parlé de ce que je vais vous expliquer ici dans un média grand public.

La guerre russo-ukrainienne n’a pas commencé le 24 février 2022, pas plus qu’elle n’a commencé le 27 février 2014 quand des soldats sans insigne sont apparus un peu partout sur les points stratégiques en Crimée. Elle a commencé en 1996, alors que démarre le second mandat présidentiel de Bill Clinton.

Le contexte intellectuel des années 1990

Resituons un peu le contexte: l’URSS s’est effondrée en 1991, entrainant l’embrasement de tous les conflits ethniques que les soviétiques avaient gelé sous le rideau de fer. Yougoslavie, Caucase, pays d’Asie Centrale, tous s’embrasent dans des violences qui parfois virent à la guerre civile. La guerre serbo-croate, puis la Bosnie, ou encore la Tchétchénie et le Kosovo, marquent au fer rouge l’Histoire des années 1990. La Russie n’est plus que l’ombre d’elle-même et est dirigée par un alcoolique notoire, la Chine est toujours un pays du tiers monde, et l’Europe peine à se constituer. En clair: les Etats-Unis sont l’unique super-puissance qui domine le monde politiquement et économiquement.

Sous les deux mandats de Bill Clinton, les Etats-Unis se cherchent et n’ont pas envie d’assumer cette place de gendarme du monde que leur confère pourtant leur place mondiale. Il faut dire que le fiasco de l’opération américaine de maintien de la paix en Somalie (1993) a provoqué une crise majeure au sein du Pentagone et à la tête de l’Etat: alors même que le capitalisme est sorti vainqueur de la guerre froide contre le communisme, la Démocratie vient de se casser les dents sur un conflit ethnico-religieux.

Le 14 octobre 1993, un hélicoptère américain est abattu par les somaliens. Ce sera le symbole de l’intervention catastrophique des américains dans le pays.

Au sortir de la guerre froide, un regain d’intérêt pour les intellectuels est apparu. Il fallait des guides pour éclairer un nouveau chemin dans un monde encore incertain, et la Maison Blanche n’a pas hésité à faire appel à eux. En 1992, l’un des premiers « grands penseurs » de l’époque fait paraître un livre qui explique que l’Histoire, qui est une dialectique conflictuelle entre idéologies (une idée reprise de la philosophie hégélienne) est désormais arrêtée, la Démocratie a vaincu et domine désormais le monde: c’est La Fin de l’Histoire et le Dernier Homme, de Francis Fukuyama. Le succès retentissant de cette thèse et la controverse qui en a découlé lance la mode de ces penseurs à mi-chemin entre philosophie et politique. Un autre nom majeur est celui de Samuel Huntington, qui en 1996 fait paraître son fameux Choc des Civilisations, dans lequel il explique que la fin de l’URSS ramène la géopolitique à des conflits d’essence ethnico-religieuse, c’est à dire « civilisationnelle ». Il précise, à l’appui de sa démonstration, que les prémices de l’effondrement soviétique étaient lisibles dans les conflits opposant une composante de population musulmane à une autre populations non-musulmane (par exemple, le conflit entre Inde et Pakistan Oriental, devenu plus tard Bangladesh, ou encore le conflit Sri Lankais). C’est cette présentation de l’Islam comme générateur de conflits qui a brocardé Huntington au rang des idéologues controversés, voire racistes, même si ses analyses sont tout à fait neutres et pertinentes puisqu’il a anticipé de deux ans le conflit au Kosovo.

C’est dans cette effervescence que paraît en 1997 le livre d’un homme déjà bien connu des milieux politiques pour ses analyses à contre-courant: Le Grand Echiquier, de Zbigniew Brzezinski. Et vous allez maintenant mieux comprendre quel est le rapport avec le titre de cet article.

Le « grand échiquier », dans la vision de Brzezinski, c’est simplement la carte du monde, et les cases représentent les pays. Il commence par constater que désormais, l’essentiel du grand bloc continental eurasiatique est « vide », du fait de la chute de l’URSS. En face, les Etats-Unis sont en position de force, mais n’ont pas encore atteint la domination totale, parce qu’ils ne maitrisent pas le Heartland: ils ne contrôlent que la périphérie.

Arrêtons-nous quelques instants sur cette notion qui est indispensable pour comprendre la suite.

Le concept de « Heartland »

Le Heartland est un concept géographique apparu en 1904 dans un article intitulé « The Geographical Pivot of History » dans la revue « The Geographical Journal ». L’auteur, Halford MacKinder, y développe l’idée selon laquelle il existe dans le monde une région d’importance cruciale pour quiconque entend le dominer, du fait de sa localisation et de ses ressources: l’Asie Centrale, correspondant grosso modo aux pays allant du Caucase à la Sibérie et à l’Himalaya. Le contrôle de cette région est sensé assurer à l’empire qui la possède la domination sur le monde entier, car elle constitue le cœur géographique de celui-ci.

Le Heartland, tel qu’il apparaît dans l’article de MacKinder en 1904.

En 1997, quand Brzezinski publie son livre, il reprend ce concept presque tel quel, pour expliquer que si les Etats-Unis veulent réellement être la seule super-puissance au monde, il leur faut absolument dominer cette région. Seulement, il faut d’abord en déloger pour de bon l’influence russe, héritée de l’ère soviétique: tous les pays de cette zone étaient alors partie intégrante de l’URSS, à l’exception du Pakistan et de l’Afghanistan. C’est d’ailleurs parce que l’URSS n’a pas su prévaloir en Afghanistan que son empire s’est effondré. La thèse est évidemment critiquable et n’a pas manqué de l’être, mais l’idée est restée, encore jusqu’à nos jours, parce que les USA peuvent écrire leur récit national en expliquant que c’est leur intervention auprès des combattants afghans qu’ils ont pu résister aux soviétiques. Mais ceci est une autre histoire, liée à la création d’Al Qaeda et à cet élan à la CIA de création et de financement de rebelles dans des pays étrangers…

Bill Clinton tenant un discours en présence de Zbigniew Brzezinski, à gauche.

Brzezinski, comme d’ailleurs Huntington, dîne à la Maison Blanche en compagnie des Clinton et d’autres personnalités politiques ou militaires de l’époque, et il y expose sa vision, qui va fortement marquer la politique étrangère du Parti Démocrate, alors totalement déboussolé. Le Parti Républicain, lui, tient la sienne depuis le conflit koweito-irakien: pour dominer le monde, il faut dominer le pétrole.

L’idée séduit les officiels, et c’est ainsi que démarre l’un des plus grands encerclements politico-militaires de l’Histoire.

La mise en place du plan de conquête du Heartland

Bill Clinton n’a guère le temps de faire grand chose, hormis commencer à favoriser le Pakistan pour offrir aux USA un accès direct au heartland via l’océan indien. Sa politique est d’ailleurs empêtrée dans le scandale sexuel de l’affaire Monica Lewinski et l’impeachment qui en a découlé, auquel il n’a échappé que de peu. En 2000, il quitte la présidence et Georges W. Bush laisse de côté les plans démocrates pour continuer ceux laissés en suspens depuis la fin du conflit contre Saddam Hussein. Mais si la tête a changé, l’administration militaire, le renseignement et l’administration civile sont toujours les mêmes: c’est ce qu’on appelle « l’Etat Profond », ou « Deep State », comme l’a identifié en 1955 Hans Morgenhau. Les USA multiplient les bases militaires à l’étranger, continuent l’extension de l’OTAN vers les pays de l’Est de l’Europe, et bientôt commencent à œuvrer en Asie Centrale. L’Etat Profond parvient à convaincre Georges W. Bush de s’en prendre à l’Afghanistan, en plus de ses plans pour achever Saddam Hussein et son régime baasiste, lorsque surviennent les attentats du 11 septembre 2001 à New York. Le positionnement en Afghanistan correspond aux plans de destruction de l’Iran que Georges W. Bush a en tête. A ce moment-là, il s’agit de prendre en tenailles le dernier pays moyen-oriental qui résiste aux américains et qui menace Israel, ce qui est parfait aux yeux des « faucons » républicains.

Georges W. Bush lors de son discours sur « l’Axe du Mal », le 29 janvier 2002

C’est ainsi qu’en novembre 2001, débute la conquête de l’Afghanistan par les Etats-Unis, et qu’ainsi, les USA pénètrent véritablement dans le Heartland.

Ramzan Kadyrov et Vladimir Poutine, symboles du retour de la Russie parmi les grandes puissances mondiales

Cependant, un obstacle de taille se dresse toujours devant les Etats-Unis, et Brzezinski l’avait déjà parfaitement identifié: il s’agit de la Russie. Ce pays vient de se doter d’un nouveau président dont le discours et la poigne sont en passe d’inverser la tendance à la désagrégation de la Russie. Le Pentagone et la CIA observent avec intérêt puis angoisse le conflit qui se déclenche en Tchétchénie en août 1999. Alors encore premier ministre, Vladimir Poutine déclenche une vaste opération militaire contre la province séparatiste de Tchétchénie, suite à une série d’attentats meurtriers. Si le premier conflit entre décembre 1994 et août 1996 avait été catastrophique pour les troupes russes, le déploiement de forces et le niveau de violence de ce deuxième conflit permettent à la Russie de dominer les rebelles tchétchènes. En mai 2000, après seulement 9 mois de guerre, le contrôle russe sur la Tchétchénie est rétabli et les rebelles sont réduits à mener des opérations de guérilla limitées. Aux Etats-Unis, on comprend que le président Poutine vient de ramener la Russie sur les rails et que l’ère de la déliquescence est terminée.

Il est donc nécessaire d’abattre la Russie avant qu’elle ne rétablisse son contrôle sur le heartland.

Abattre la Russie passe par l’Ukraine

Brzezinski avait su pressentir que la Russie serait un adversaire des Etats-Unis pour le contrôle du Heartland. Il avait donc proposé un axe d’attaque contre elle, en identifiant l’Ukraine comme le grand point faible de la Russie renaissante.

L’Ukraine, explique-t-il, va devoir tôt ou tard choisir entre rester sous le contrôle russe, ou chercher une voie d’indépendance et s’engager vers la démocratie, et donc chercher à adhérer à l’OTAN ou à l’Union européenne. L’Ukraine peut se passer de la Russie, mais la Russie ne peut pas se passer de l’Ukraine. Pour Brzezinski, la réaction de la Russie à l’égard de l’émancipation de l’Ukraine vers l’Europe déterminera si les russes veulent devenir européens, ou s’ils souhaitent rester eurasiatiques et constituer une sorte de pays-continent isolé.

Viktor Iouchtchenko et Iulya Timochenko au moment de la Révolution Orange, en 2004

En 2004, l’Occident découvre avec stupeur qu’un candidat à la présidence ukrainienne, Viktor Iouchtchenko, a été empoisonné à la dioxine. Or, ce président est présenté comme étant « pro-occidental », face à son rival « pro-russe », Viktor Ianoukovytch. L’affaire prend des proportions telles que lorsque le résultat de l’élection présidentielle tombe, l’Ukraine entre dans une période de révolte qui sera appelée par la suite « la Révolution Orange ». Un second tour est réorganisé, et cette fois, c’est Iouchtchenko qui est élu président.

Il est très intéressant de noter ici la similarité entre la Révolution Orange et la Révolution des Roses qui a eu lieu en 2003 en Géorgie, dans des circonstances similaires, et qui verra l’accession au pouvoir du président Mikheil Saakachvili. Président qui d’ailleurs fuira son pays suite à des accusations de corruption et de détournement de fonds, et qui se rendra en Ukraine… où il deviendra député… avant de fuir à nouveau, mis en cause dans une affaire de corruption et de détournement de fonds!

La présidence Iouchtchenko ne se passe pas en douceur, et les affaires de corruption et de détournements de fonds se succèdent. Sa première ministre, Iulia Timochenko, égérie de la Révolution Orange, est une oligarque issue du milieu du pétrole. Ses liens avec les Etats-Unis sont très troubles, mais c’est surtout sa relation avec la Russie et principalement l’entreprise Gazprom qui la placent sur le grill. Il faut dire que ses agissements sont particulièrement troublants, et son implication dans le meurtre d’un député ukrainien au moment de la négociation de contrats très lucratifs sur la livraison de gaz à l’Ukraine apparaît comme très probable.

Hunter Biden, symbole de toutes les compromissions de la famille Biden en Ukraine, mais aussi en Chine…

Les crises se succèdent, et l’instabilité politique fait exploser l’animosité au niveau de la société civile. Dans ce climat très instable, les opportunités d’affaires très lucratives sont nombreuses mais risquées, et les enquêtes sont tout autant motivées par des raisons politiques que de véritables infractions pénales. Et c’est ainsi que le nom de Biden s’associe intrinsèquement au milieu des affaires ukrainiennes, lorsque Joe biden, alors vice-président de Barack Obama, se rend à Kiev. Son fils, dans la foulée, est nommé au conseil d’administration d’une société gazière, Burisma, avec de très juteuses opportunités affairistes à la limite de la légalité… Mais ceci est une toute autre histoire, qui dépasse largement du cadre de ce petit article sur les racines du conflit russo-ukrainien.

La suite, vous la connaissez tous, en principe: en novembre 2013, Viktor Ianoukovitch décide d’enterrer le projet d’accord avec l’Union Européenne, pour réengager le dialogue et la coopération avec Moscou. S’ensuivent alors des manifestations très violentes, au cours desquelles des dizaines de personnes, civils comme policiers, sont abattues dans des conditions mystérieuses et toujours non-élucidées. Ces événements mènent à la révolution de la place Maïdan, appelée « l’Euro-Maïdan », puis au coup d’Etat contre Viktor Ianoukovitch qui fuit le pays vers la Russie, et enfin l’annexion de la Crimée et la guerre civile dans le Donbass au cours de l’année 2014.

Manifestation pro-Européenne sur la place Maïdan, à Kiev

Le piège ukrainien

Le pourrissement de la situation en Ukraine a été voulu de bout en bout par les Etats-Unis. Le piège a été expliqué dans une publication de la RAND Corporation dès 2003 dans le rapport prospectif « NATO’s Eastern Agenda in a new strategic era », qui reprend comme par hasard la vision de Brzezinski sur l’Ukraine. Le rapport note qu’il n’y a aucun problème ethnique en Ukraine, où les habitants s’identifient d’ailleurs d’abord comme originaires de leur région, que comme ukrainiens. On y devine en filigrane que pour briser l’Ukraine, il faut jouer sur l’opposition entre la majorité « ukrainienne » et la minorité « russe », qui représente alors 8 millions de personnes sur une population de 47 millions. Une Ukraine fragmentée et instable n’est pas dans l’intérêt de la Russie, qui ne pourrait pas y intervenir militairement ni économiquement sans se mettre en danger.

Le rapport de la RAND Corporation identifiant l’Ukraine comme la faiblesse majeure de la Russie, avec la Géorgie et les pays Baltes.

On comprend entre les lignes que le plan pour l’Ukraine est simple: il faut d’abord la prendre au piège des relations vers l’ouest, en l’attirant avec des promesses de la part de l’Union européenne et de l’OTAN. Chose facile à l’époque, puisque l’Ukraine ambitionnait d’être un pont entre le monde occidental et la Russie, pour construire une prospérité durable. La position de l’Ukraine comme pont entre les deux mondes s’était d’ailleurs assise sur les gazoducs qui passaient sur son territoire, et généraient des revenus très conséquents.

En « décollant » l’Ukraine de la Russie, celle-ci allait perdre à la fois un de ses états satellites, mais elle allait en plus avoir à faire face à une menace stratégique, puisque l’OTAN serait littéralement à ses frontières, l’Ukraine n’étant plus un Etat tampon. La Russie devrait donc réagir politiquement, puis économiquement, et enfin militairement.

Or, au moment de l’élaboration de ce plan, la Russie était structurellement fragile, et n’aurait pu intervenir sans risquer de s’effondrer, comme l’URSS. Avec une Russie paralysée, voire empêtrée en Ukraine, il était ensuite facile de continuer le plan pour s’emparer du heartland au centre de l’Asie Centrale, voire in fine de démanteler la Russie en une multitude de petits Etats organisés autour des minorités ethniques les plus importantes en Russie: en divisant pour mieux régner, il aurait été plus simple de tenir sous emprise toute cette région.

L’aveuglement des élites US

Le problème de ce genre de plan, c’est qu’il ne peut pas se dérouler de façon rapide, et nécessite de s’inscrire dans le temps long, à l’échelle d’une génération au minimum. Et surtout, de réévaluer la pertinence du plan lui-même en fonction des évolutions au niveau mondial.

Les Etats-Unis n’ont pas su percevoir le changement de circonstances, ou du moins n’ont pas su en prendre toute la mesure. Pendant qu’ils étaient embourbés en Afghanistan et en Irak, un autre acteur étatique est parvenu au seuil de la super-puissance: la Chine.

Au cours des années 2000, la Chine est devenue littéralement l’atelier du monde, grâce à une politique de dumping économique très agressive qui a rendu toutes les industries occidentales totalement non-compétitives. L’Europe s’est engagée dans la voie de désindustrialisation et de délocalisation qui lui a coûté sa place de puissance économique dès la fin des années 1990, mais c’est surtout au cours des années 2000 que le mouvement s’est accéléré.

L’afflux de cash et de brevets techniques a transformé la Chine en moins d’une décennie, la sortant de son statut de pays du tiers-monde pour la faire devenir la deuxième puissance économique mondiale. Cette ascension a réveillé les appétits impériaux de la Chine, et surtout sa soif de ressources. Dès 2005, le livre blanc China’s Peaceful Development Road annonce les ambitions chinoises de co-développement avec les pays de l’ASEAN. Se réveillent également les tensions territoriales, en particulier sur le statut des îles disputées avec le Japon, les Philippines et bien sûr, Taïwan.

L’élan chinois atteint rapidement l’Afrique, et dès le début des années 2010, les journalistes commencent à parler de « Chinafrique », un terme calqué sur le concept de « Françafrique » pour désigner les relations d’influence française sur certains pays africains.

Xi Jinping au sommet du G20, en 2016

Puis en 2013, le président Xi Jinping lance officiellement l’un des plus grands projets de l’histoire chinoise moderne: les nouvelles routes de la soie. Baptisée « One Belt, One road Initiative », ce projet prévoit de développer les relations internationales avec un certain nombre de pays situés entre la Chine et l’Europe, via deux axes. Un premier, par voie maritime, est dirigé vers les pays tels que l’Indonésie, le Myanmar, le Sri Lanka, et s’oriente vers les pays du Moyen-Orient et d’Afrique, le second, par voie terrestre, s’oriente vers les pays… d’Asie Centrale.

Le partenariat sino-russe se renforce d’autant plus que l’Europe, les Etats-Unis et le Commonwealth britannique sont de moins en moins subtils dans leurs attaques contre le bloc qui se dessine et menace leurs projets d’hégémonie. Dans les faits, la Russie s’est repliée sur sa composante eurasiatique, et s’est ménagée un débouché vers la Chine et tout le sous-continent qui lui est lié, pour se préparer à une éventuelle confrontation politico-économique en Europe, suite à la crise qu’avait constitué la désormais oubliée crise du bouclier anti-missile américain qui devait être déployé en Pologne, en Roumanie et en Géorgie. Le conflit géorgien d’août 2008 a d’ailleurs constitué un électrochoc pour une partie du pouvoir russe, qui a compris qu’une confrontation avec l’Occident était inévitable. La Chine aussi l’a parfaitement compris, lorsque Barack Obama a annoncé le « grand pivot vers l’Asie » pour faire face à la montée chinoise, et soutenir ses satellites coréen et japonais. Une initiative aussitôt figée par la peur: le chercheur Graham Allison publie en 2012 un article dans le Financial Times, intitulé « Thucydides’s trap has been sprung in the Pacific », dans lequel il avertit que toutes les tentatives de confronter une puissance montante pour préserver l’hégémonie se sont soldées par une guerre désastreuse.

Conclusion

Toute la politique occidentale actuelle découle de cette période des années 1990 où les Etats-Unis se sont retrouvés sans adversaire. Pour maintenir leur privilèges, les dirigeants de l’Etat Profond ont créé des menaces, au premier rang desquels le terrorisme islamiste. En parallèle, la présidence démocrate s’est engagée dans un grand projet de géopolitique globale, en s’inspirant de la pensée de Zbigniew Brzezinski.

Ce projet, c’est la conquête du monde, qui commence par le contrôle du Heartland. Et pour conquérir le heartland, il faut amener la Russie à s’autodétruire dans une guerre en Ukraine.

Pourtant, cette théorie a été largement critiquée depuis sa formulation en 1904. D’une part, elle a inspiré l’idée du Lebensraum à Karl Haushofer, qui sera par la suite reprise par le National Socialisme et servira de justification à la Drang nach Osten, la « poussée vers l’Est » et l’opération Barbarossa. Une idée catastrophique pour le régime allemand et pour toutes l’Europe de l’est, jusqu’en Russie. D’autre part, parce qu’elle coïncide mal avec l’analyse « thalassocratique » d’Alfred Mahan, formulée dès 1899, qui démontre que la Puissance des grands Etats s’est toujours appuyé sur leur capacité à se projeter outre-mer pour aller rechercher des ressources, par le commerce ou la colonisation. Le fait est que 90% du commerce mondial passe par voie maritime, et que le contrôle des voies de navigation a conditionné l’essor et la chute des grands empires. Enfin, parce que contrairement à ce qu’affirme MacKinder, le contrôle de la région qu’il identifie comme étant le « heartland » n’a été déterminante qu’une seule fois dans l’histoire mondiale: lors des conquêtes mongoles de Gengis Khan. Encore que ce contrôle était parfaitement relatif et improductif, puisqu’il n’a pas été exploité et n’a jamais contrebalancé la puissance des centres les plus dynamiques du monde, qui se trouvaient alors en Europe occidentale et au Moyen-Orient.

Pour ces raisons, on le voit, le conflit ukrainien n’est pas près de s’arrêter. Il a été repoussé de 4 ans lors de l’élection surprise de Donald Trump en 2016, Hilarry Clinton ayant largement préparé la guerre lorsqu’elle était encore secrétaire d’Etat aux affaires étrangères sous Obama. Les Etats-Unis et l’Europe ont besoin de se convaincre que la Russie va s’effondrer à cause du conflit en Ukraine, pour pouvoir accéder au heartland sans aller à la guerre frontale. Mais c’est sans compter avec la Chine…

Le simple fait que l’Ukraine n’a jamais pu obtenir d’engagement sérieux pour son adhésion à l’OTAN ni à l’Union Européenne est la démonstration la plus éclatante qu’elle n’est qu’un pion sur le grand échiquier conçu par Brzezinski et sur lequel les démocrates ont décidé de placer leurs pions, parfois jusqu’à la corruption et les compromissions.

Reste à savoir désormais ce qui peut advenir de l’Occident si il échoue en Ukraine. L’arme économique des sanctions et du dollar sont devenus inefficaces, et sont même en train de se retourner contre les dirigeants et les peuples occidentaux.

L’Ukraine sera-t-il le tombeau de l’Empire américain?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *