La pseudo-science catastrophiste, fléau du 21e siècle

Écouter l’émission « Existe-t-il une science du pire? » de France Culture du 26 octobre dernier pour me réveiller n’était à priori pas la meilleure des choses à faire pour partir sur de bonnes bases. 

Le concept de « science du pire » s’applique à décrire ces situations catastrophiques « découvertes » (voire provoquées) par la Science, comme le célébrissime concept de « changement climatique ».

Le sujet de l’émission est à priori séduisant, puisqu’il s’agit de présenter une discipline naissante, la « collapsologie » (ou « science de l’effondrement », du terme anglais « collapse »), et d’en expliquer les principes. Le concept même de fin du monde est à la mode depuis environ 2500 ans et la naissance des messianismes religieux (là, je vous renvoie à mon Saoshyant), mais il s’est particulièrement développé ces cinquante dernières années: craintes d’une guerre nucléaire, apocalypse zombie, virus mortel global, robots tueurs, effondrement des sociétés civilisées, invasion extra-terrestre, astéroïde tueur… La littérature et le cinéma ne manquent pas d’exemples et nous en abreuve en permanence. Il semble donc assez étonnant finalement qu’une discipline scientifique ne se soit pas attachée à étudier ce domaine avant.

Quoique.

Rappelons que la Science repose sur deux choses: l’observation, et l’expérimentation. Si on peut observer l’effondrement de sociétés passées ou existantes, et éventuellement formuler des hypothèses pour les expliquer, il manquera toujours le second aspect fondamental de la Science moderne. L’expérimentation, pour des raisons assez évidentes, ne peut pas être réalisée sur une société pour voir comment elle s’effondre. L’expérimentation supposant la réplication, c’est à dire la répétition d’un résultat dans les mêmes conditions, autant dire qu’il est impossible de considérer la « collapsologie » comme une science, à moins d’accepter que l’on puisse mener des expériences sur des groupes d’individus pour observer comment ils survivent et meurent dans des conditions déterminées par avance. Au cours de l’ère moderne, il n’y a que trois « civilisations » qui ont permis un tel niveau d’inhumanité: l’Allemagne national-socialiste, la Russie soviétique, et le Japon impérial (du moins, sa sinistre Unité 731).

La collapsologie présente donc un sérieux défaut épistémologique dans le fondement même de son approche, et ne saurait en aucun cas être considérée comme une science au même titre que la Physique, la Chimie, la Médecine ou la Biologie. Ça ne signifie pas qu’elle ne peut pas être pertinente dans sa démarche ou son propos, simplement il faut garder à l’esprit que n’étant pas une Science, toute décision politique, économique ou humaine prise par rapport à cette discipline ne semble pas avoir beaucoup plus de pertinence qu’une décision prise en fonction d’un jet de fléchette ou d’un jet de dé.
Mais, encore une fois, l’idée n’est pas elle-même scandaleuse, puisqu’elle s’apparente à l’Histoire (qui essaie d’observer le passé pour en déterminer les dynamiques, mais sans pouvoir faire de prédiction), et éventuellement la Sociologie, dont elle partage les travers. La collapsologie n’est finalement que le pendant lugubre de la futurologie, qui est une discipline cherchant à prédire le futur à partir de l’étude de dynamiques technologiques, sociales, économiques et politiques actuelles.

Le premier quart d’heure sert d’introduction à cette discipline (qui n’a rien de nouveau, même si le terme semble l’être) et présente un entretien avec Pablo Servigne, co-auteur avec Raphaël Stevens d’un ouvrage de 2015 sur ce sujet, et qui a initié le mouvement. L’émission de Nicolas Martin sur France Culture relève assez vite que la collapsologie s’apparente à une pseudo-science, avec tous les dangers que cela peut comporter: Pablo Servigne précise en effet que la collapsologie se fonde sur l’observation ainsi que l’intuition. Une belle manière de dire que la discipline tient totalement compte des biais de ses membres et s’en sert pour ses prédictions. C’est là que la collapsologie se distingue de toute discipline à prétention scientifique comme peut en avoir par exemple la sociologie: là où l’approche scientifique essaie au maximum d’éliminer les biais cognitifs (à priori, préjugés, mauvaises interprétations…) pour obtenir des résultats non seulement les plus précis possibles, mais surtout les plus fidèles possibles à la réalité, la collapsologie s’en sert.

Pourquoi cela pose-t-il un problème? Tout simplement parce qu’à partir du moment où on adopte une approche biaisée, le résultat ne peut qu’être biaisé, inexact et éloigné de la réalité. C’est le principe de l’approche idéologique. Pour être plus clair, mettez-vous dans la peau de quelqu’un qui imagine que le nombre 18 est un nombre extrêmement important, sans pour autant être capable d’expliquer pourquoi. Vous en avez l’intuition. Le fait que vous attachiez une importance à ce nombre plutôt qu’à un autre va faire qu’à chaque fois que vous allez y être confronté, vous allez le remarquer de façon beaucoup plus claire que tout autre nombre, quand bien même vous le verriez beaucoup moins qu’un autre (au hasard, le nombre 23). C’est ce qu’on appelle un biais de perception sélective, ou « cherry picking » en anglais, qui consiste à ne prendre que les éléments qui nous confortent nos préjugés (de façon consciente ou non) et nous permettent d’obtenir des résultats conformes à nos attentes. C’est par exemple la démarche adoptée par Françoise Lhéritier et Priscille Touraille en sociologie pour expliquer des différences physiologiques entre hommes et femmes (même si en ce qui concerne ces deux-là, on est carrément dans la falsification scientifique…).

Je ne me prononcerais pas plus avant sur cette émission (ce que j’ai écrit jusqu’ici est de toute façon suffisamment éloquent), n’ayant pas pu aller plus loin que la vingtième minute, faute de patience face aux élucubrations qu’on y entend. Inviter Vincent Mignerot, un essayiste qui se présente comme « chercheur en sciences sociales » sans en avoir ni l’activité ni le diplôme, aurait pu éventuellement être intéressant si celui-ci n’était pas animé par des motivations politiques: il est président de l’association Adrastia, qui cherche à engranger de l’argent sur le thème de la fin du monde. L’entendre préciser en réponse à la mention du Réchauffement Climatique que le GIEC (Groupe International d’Études sur le Climat) se base sur des méta-études aurait pu être pertinent (une méta-étude est une analyse portant sur des ensembles de travaux portant sur un même sujet, pour en faire surgir une analyse statistique sensée faire émerger des tendance générales, tout en s’affranchissant en théorie des biais cognitifs propres individuellement à chacune des études). Le GIEC ayant une influence majeure sur la politique nationale et mondiale, rappeler une partie de ses méthodes pour en faire la critique est un argument fort pour préciser que les travaux du GIEC ne sont pas exempts de défauts et que les suivre aveuglément n’est pas forcément une bonne idée, d’autant plus que ses prévisions sont catastrophistes et aboutissent à réclamer toujours plus de financements. Malheureusement, Vincent Mignerot n’a vraisemblablement aucune honte à prêcher pour sa paroisse en affirmant de façon vindicative que le GIEC est très en dessous de la réalité parce qu’il ne prend pas en compte les derniers travaux scientifiques. Entendre un pseudo-chercheur en sciences sociales s’en prendre à des études scientifiques certes critiquables sur certains points mais autrement plus solides que la camelote qu’il essaie de nous vendre, c’était beaucoup trop pour que je puisse encore perdre mon temps à l’écouter.

Alors pourquoi rédiger un article à ce propos, finalement? Hé bien parce que j’avais envie de parler de ces gens qui, comme Vincent Mignerot, produisent des pseudo-savoirs et cherchent à profiter du système français pour récolter des financements publics, sans jamais avoir à justifier de la pertinence et de la validité de leurs travaux. Autrement dit, ces gens sont des parasites qui vivent confortablement avec l’argent du contribuable, et bénéficient d’une rente à vie qui les exempte de travailler réellement. Ces rentiers sont extrêmement nombreux en France, et expliquent en partie le gaspillage d’argent public et le déficit de l’État, même si ils ne sont pas le seul problème qui gangrène la société française, loin s’en faut.

L’organisation de l’État français fait de celui-ci le point central de l’économie du pays. En impliquant l’État dans tous les processus de décision, comme par exemple l’organisation de la solidarité nationale redistribuant les richesses à destination des plus pauvres par le biais de l’impôt, la France a adopté un système économique dit « socialiste ». Le socialisme n’est pas synonyme d’humanisme comme on tend à le croire, mais de centralisation étatique: l’État, et plus exactement le Gouvernement, se voit investi du pouvoir de réguler et d’organiser tous les aspects de la vie nationale. C’est parce que cette centralisation du pouvoir et du processus de décision prétend se fonder sur la solidarité que l’on en a cette vision déformée aujourd’hui, du moins en France.

Cette centralisation a pour effet d’inciter les groupes sociaux-économiques à rechercher les faveurs de ceux qui sont au pouvoir, pour obtenir des avantages politiques, législatifs ou financiers, sans avoir à se soumettre au processus naturel de sélection par la concurrence. En d’autres termes, la centralisation incite à la corruption et à la collusion, pour permettre à des groupes qui ne justifient pas de la pertinence de leur existence par un apport concret à la société de simplement continuer à exister. Généralement, cette survie est assurée par la captation d’une partie de l’argent du contribuable par le biais de subventions étatiques, en échange de faveurs quelconques assurant le maintien au pouvoir d’une partie de la classe politique (mais pas forcément à des postes renouvelés par le biais d’élections périodiques).

L’exemple le plus parfait pour illustrer ce mécanisme est le GIEC, dont j’ai parlé un peu plus tôt. Cet organisme international  est composé de représentants d’États nommés à leur poste par des gouvernements (il s’agit donc de postes politiques, et non de postes scientifiques), afin de produire des rapports à destination des autorités pour « guider l’action publique ». Nous avons donc des États qui depuis les années 1970 subissent une dépendance énergétique aux énergies carbonées, au premier rang desquelles le pétrole, qui s’est doublée au fil des ans d’une dépendance politique et financière au profit des États producteurs de pétrole, qui cherchent à justifier leurs politiques publiques d’investissements et de « transition énergétique » vers des énergies décarbonées, et s’appuient sur les travaux d’un organisme dont les membres sont tous nommés par leurs propres gouvernements pour justifier les politiques et stratégies nécessaires pour réduire la dépendance énergétique et financière envers les puissances pétrolières. Autant dire que le GIEC n’a aucun intérêt à produire un rapport réduisant l’impact des émissions de CO2 sur le climat, et a tout intérêt au contraire à produire des rapports catastrophistes… et à obtenir en échange de généreux financements assurant sa pérennité.

Ce principe s’applique à peu près à toutes les organisations associatives en France, depuis la petite association sportive communale qui a intérêt à bénéficier du prêt d’un bâtiment de la municipalité, jusqu’à des organisations internationales, gouvernementales ou non, y compris celles qui se défendent de toucher des subventions publiques (Greenpeace, par exemple, prétend ne pas être financée par un État, mais reçoit en réalité l’autorisation politique de mener ses actions avec la bienveillance policière et judiciaire, même quand il s’agit de bloquer des trains de combustible nucléaire ou d’envahir des centrales en ayant l’assurance de ne pas se faire tirer dessus…). Les entreprises y sont également très fortement incitées, comme on le voit depuis des années avec le MEDEF qui est systématiquement à l’œuvre en coulisse lors des réformes gouvernementales portant sur les entreprises, même si cela ne va pas du tout dans l’intérêt des PME qui représentent l’immense majorité des entreprises françaises.

Ce que les journalistes et politiques nomment « ultralibéralisme » n’est en réalité que le produit même de l’organisation socialiste de la société française. Il n’y a aucune libéralisation quand c’est l’État qui in fine prend toutes les décisions, même si celles-ci semblent donner du pouvoir à certains de ses affidés: ils font tous partie de la même entreprise de captation des richesses du peuple français par le biais de l’impôt. La seule différence avec les mafias est que ceux qui bénéficient de ce système se réfugient derrière l’apparente légitimité de leurs actes fournie par la Loi. Il n’y a plus aucun moyen normal de lutter contre ces gens, qui se fournissent les uns aux autres les justifications de leur activité et de leur rémunération: c’est un cercle vicieux qu’il devient de plus en plus impossible de briser.

La collapsologie n’est qu’un avatar de plus de ce problème majeur qui ronge la société française de l’intérieur. Il n’est guère étonnant qu’à aucun moment cette pseudo-discipline ne s’intéresse aux conséquences mêmes de son existence (le fait de faire une prédiction suffit souvent à la déjouer), ni encore moins aux véritables raisons qui poussent des sociétés civiles à l’effondrement et au basculement vers une autre organisation. Il ne faut rien attendre d’une discipline qui fait partie du problème, et qui passe son temps à crier au loup pour des raisons qui ne sont pas justifiées. Le jour où il se passera vraiment quelque chose, personne parmi ces oiseaux de mauvais augure ne le verra venir. C’est ce qui s’est passé avec la crise financière de 2008.

La leçon n’a visiblement pas porté ses fruits…

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