Les prémices de la conquête spatiale et l’arme nucléaire…

Le premier objet créé par l’Homme à avoir atteint l’espace n’est pas Sputnik, et l’objet fabriqué par l’Homme le plus rapide n’est pas Voyager, mais… une plaque d’égout.

En 1957, une série d’essais atomiques souterrains baptisée Operation Plumbbob a lieu au Nevada. La série d’essais consiste à creuser un tunnel vertical dans le sol, long de plusieurs dizaines de mètres, et d’y déposer une bombe atomique pour en mesurer les effets. Evidemment, on ferme le trou avec un bouchon en bas de l’excavation, juste au dessus de la bombe, et on ferme en surface avec une plaque similaire à celle de nos plaques d’égouts (pour éviter de tomber dedans, pas pour « retenir » l’explosion). L’objectif est surtout d’essayer de limiter les retombées nucléaires dans l’environnement. La plaque en acier, que je vais baptiser AstroBoy, est épaisse de 10 cm et large d’environ 1 mètre, pesant plusieurs centaines de kilos et se trouve 150 mètres au dessus.

En bas du tunnel vertical, se trouve Pascal-B, une bombe atomique d’une puissance de 0.3 kilotonnes de TNT, avec juste au dessus, un « bouchon » en béton contenant des appareils de mesure, qui sont évidemment sacrifiés dans l’expérience.

Les responsables savent très bien ce qui va se passer, mais la question est de savoir dans quelle proportion. Ils font donc placer des caméras à prise de vue rapide pour surveiller le haut du trou, où se trouve Astroboy. Puis vient le moment de la détonation.

Le 27 août 1957, à 22h35 GMT, AstroBoy est soufflée dans les airs. La caméra à prise de vue rapide, malgré sa vitesse, n’enregistre la plaque que sur une seule image. D’après les estimations et les calculs du responsable de l’essai, Robert Brownlee, la vitesse atteinte par AstroBoy est de l’ordre de 6 fois la vitesse de libération, qui est de 11,5 kilomètres par seconde environ. C’est à dire qu’elle s’est envolée à la vitesse de 65~70km/s.

Ce qui représente une vitesse de… 234 000km/h. (Voyager 1 va à 61 500 km/h)

Beaucoup de rabat-joie estiment que AstroBoy n’aurait pas pu résister la traversée des couches denses de l’atmosphère, qui sont situées entre le sol et une trentaine de kilomètres d’altitude, en expliquant que les objets hypersoniques se désagrègent à cause des frottements de l’air. Mais ils oublient de préciser que AstroBoy n’y a été soumise que moins d’une demi seconde, une durée de temps largement insuffisante pour observer la désagrégation hypersonique sur un objet de cette masse.

Selon toute vraisemblance, AstroBoy a donc rejoint les étoiles à la vitesse intersidérale de 234 000km/h.

YEET.

La grande arnaque de la Science: les grandes annonces cachent toujours quelque chose.

Le principe de fonctionnement d’un laser mégajoule, piqué chez Enerzine.

Vous n’avez pas pu échapper à l’annonce grandiloquente du NIF américain sur sa « formidable percée » dans le domaine de la fusion. D’après eux, ils ont réalisé la première fusion dont le bilan énergétique est positif, employant des lasers générant 2 mégajoules d’énergie (2 000 000 de joules, une balle de .357 Magnum c’est 800 joules en sortie de canon, pour vous donner une idée) pour compresser une bille de gaz et générer 3 mégajoules d’énergie.

Alors outre le fait que ces 3 mégajoules d’énergie ne veulent rien dire en soi, puisqu’il faut encore derrière récupérer cette énergie ET la convertir en électricité (ce qui entraine automatiquement des pertes énormes), le NIF s’est bien gardé de parler de l’autre bout de la chaine: comment ont-ils généré ces lasers?

Là, mes amis, on frôle le scam pur et simple. Générer un laser est extrêmement énergivore, et les lasers de type « mégajoule » sont parmi les pires. Pour générer 2 mégajoules d’énergie laser, le NIF en a consommé… 322. ( https://www.nature.com/articles/d41586-022-04440-7 ) On est sur un rendement de l’ordre de 0.006%. Avec l’ajustement de la réaction de fusion qui a été générée (3 mégajoules), on passe à 0.009%.

Pour vous donner une idée, un simple générateur diesel a un rendement énergétique de l’ordre de ~40%, un réacteur nucléaire est à ~33%.

Cela fait maintenant une cinquantaine d’années qu’il n’y a plus de grande percée technologique dans le domaine énergétique, et il y a une bonne raison à cela: les « technologies futures » ont besoin d’une mobilisation sociétale complète, à l’image de ce qu’avait eu besoin le charbon au 19e siècle, le pétrole au début 20e et le nucléaire dans les années 1950. On parle de centaines de milliards d’euros d’investissement nécessaires, ce qu’aucune entreprise privée ne pourra jamais développer à elle seule.

Depuis les années 1970, les Etats se sont totalement désengagés de la recherche industrielle et technologique, au nom du libéralisme, du commerce international, de la libre concurrence, et de tout un tas de conneries de ce genre. Résultat, les grandes infrastructures (rail, réseau électrique, centrales, réseaux routiers même) qui tiennent l’économie et l’industrie de nos pays sont désormais délaissées, et ce sans qu’il n’y ait de grands investissements dans la recherche future. Et ça ne va pas s’arranger, parce que le libéralisme se double désormais d’un écologisme ultra destructeur.

Seul rescapé de tous les projets énergétiques « futuristes » de la grande époque, encore que ce soit sous la forme d’une collaboration internationale rassemblant 35 pays, le réacteur à fusion nucléaire ITER est issu d’une technologie connue depuis les années 1950, qui a été à peu près totalement mise dans les cartons à l’époque en raison des technologies qu’il impliquait et qui n’étaient pas du tout matures, et ne le seraient pas avant plusieurs décennies. La recherche a continué dans des petits laboratoires, avec des très petits réacteurs dont on savait très bien qu’ils ne déboucheraient sur rien, faute d’avoir la bonne échelle. Les crédits de recherche étaient de toute façon mobilisés par la technologie des réacteurs à fission qui étaient encore balbutiants. On a perdu environ 30 ans sur ITER, et on sait déjà qu’au mieux, ce réacteur expérimental ne débouchera sur une application industrielle que vers 2050 (il devrait démarrer en 2025, normalement).

Alors dans tout ça, pourquoi en faire des caisses au moindre truc complètement banal et sans intérêt?

Il y a deux raisons convergentes: d’une part, ça permet à ces entreprises de mobiliser l’attention médiatique et donc l’attention de personnes et d’institutions qui ne savent pas quoi faire de leur fric, et donc d’attirer des financements. En l’absence d’investissements publics, on dira que c’est de bonne guerre et que c’est même probablement vital pour la Recherche.

D’autre part, c’est simplement du « panem et circenses » pour geeks: on leur fait croire que la « Science » est toute puissante et avance à grands pas vers un avenir radieux et transhumaniste où tous les problèmes du monde vont être résolus par des mecs en blouses blanches. Et comme la Science moderne est amorale (voire largement immorale), on détourne les masses dans un sens général d’adhésion à certaines idéologies totalitaires sont en train de naître.

Et tiens, d’ailleurs, qui se rappelle des technologies d’il y a dix ans, qui devaient solutionner la médecine, avec les méthodes d’édition génétique (Crispr…), les prothèses bioniques, ou les cellules souches et l’impression 3D d’organes à partir de l’ADN du malade? Ces technologies qui devaient être notre quotidien aujourd’hui ont totalement disparu de la surface de la Terre alors qu’elles faisaient les grandes « unes » de tous les journaux.

La réalité, c’est qu’il n’y a pas de miracles scientifiques: le prix à payer est toujours exorbitant, qu’il soit sur le plan moral ou le plan physique. La « Science » ne sauvera pas notre monde, ni notre Humanité, parce que personne n’est réellement sérieux dans la volonté de solutionner des problèmes que nos sociétés s’imposent d’elles-mêmes sans aucune raison valable.

Création artistique: pourquoi le wokisme est insupportable à tous les niveaux

Parodie de documentaire sur les « ours polaires » estampillée Netflix

C’est devenu un meme récurrent: lorsqu’un projet de biographie cinématographique d’une personnalité occidentale est évoquée, il est devenu systématique de remplacer la personne par un acteur ou une actrice noire.

Ce meme parodique trouve ses origines dans la désormais bien connue entreprise Netflix, qui n’a eu de cesse depuis ses débuts que de produire des fictions de mauvaise qualité dont l’unique trait particulier est de donner le premier rôle à une actrice blanche, et de la faire terminer à la fin dans les bras de l’acteur noir. S’y sont ajoutées avec le temps la systématisation de la présence d’acteurs et d’actrices ou de personnages LGBT. C’en est au point qu’il semble qu’il n’y ait plus aucune relation hétérosexuelle mono-ethnique dans ces fictions.

Il n’y a pas que Netflix qui est abonnée à cette substitution de personnages « blancs » par des acteurs noirs: Marvel est spécialiste de la chose également. Ici, le personnage de la mythologie nordique Hemdall, joué par Idriss Elba dans la série de films de la franchise « Thor ».

En soi, la chose est risible, mais fait partie de la création artistique idéologique, au même titre que les grandes épopées héroïques ou les films de super-héros mettant en avant certaines valeurs. Les gens de droite ont leur propagande (de moins en moins tout de même), les gens de gauche ont aussi la leur. Ça fait partie du jeu.

Ce jeu, pourtant, est malsain lorsqu’il consiste à imposer un acteur ou une actrice clairement non représentatif des figures historiques ou mythologiques qu’il ou elle est sensé incarner. Or, force est de constater que c’est devenu la norme dans toutes les grandes productions culturelles de ces dernières années, particulièrement dans le monde anglo-saxon. Les polémiques se succèdent, mais comme les productions restent rentables, le phénomène perdure.

Rings of Power (Amazon), ou le black-washing d’une franchise… Ici, un elfe… noir? Il n’existe aucun elfe noir chez Tolkien, tout simplement parce que les elfes ne « bronzent » pas: ils ne sont pas humains. De plus, dans l’imaginaire fantastique issu de la franchise Donjons et Dragons, les elfes noirs sont des créatures humanoïdes vivant sous la terre, extrêmement cruels et violents. Il est totalement absurde, à double titre, d’imposer des acteurs noirs pour représenter des elfes de la Terre du Milieu…

Un exemple parmi d’innombrables autres, la polémique sur la super-production d’Amazon, basée sur l’univers du Seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien a embrasé les débats ces derniers mois. La raison? Le choix de la production d’imposer des acteurs qualifiés de « minorités ethniques » pour des rôles où ils ne sont traditionnellement pas adaptés, plutôt que d’explorer les terres du milieu pour permettre de développer d’autres royaumes où ces acteurs auraient été tout à fait représentatifs. Le choix d’introduire de la « diversité » en l’imposant dans des peuples elfes et nains où justement la diversité n’a rien à faire est critiquable, et largement critiqué. L’univers créé par J.R.R. Tolkien est suffisamment riche pour utiliser des peuples non typés « occidental ». Le Harad est une terre divisée en deux aires géographiques, où on trouve des peuples typés « Maghreb/Arabie » et des peuples typés « Afrique ».

La reine naine Disa, création pour la série Rings of Power, est scandaleuse à double titre: les nains ne sont pas noirs, et surtout, leurs femmes sont pourvues d’une barbe!

Le Nazgûl Sûladan est précisément issu de du peuple typé « Maghreb/Arabie », ce qui aurait pu être intégré dans le scénario sans aucun problème, puisque celui-ci couvre précisément la corruption des rois nains, elfes et humains par Sauron, et les rois humains deviennent justement par la suite les Nazgûls. L’adaptation choisie par Amazon, qui a écarté volontairement les textes et fragments laissés par Tolkien pour « produire quelque chose de nouveau » est déjà problématique vis-à-vis du respect de l’œuvre, mais elle devient scandaleuse quand elle est orientée politiquement dans le sens d’un wokisme aveugle.

Mais que leur est-il passé par la tête? Angrboda est un monstre, une géante de glace, et non une jolie jeune femme africaine tout droite sortie de la savane!

Il n’y a même pas besoin de parler des remplacements « abrupts » et injustifiables, comme on peut en voir dans le jeu vidéo God of War: Ragnarok, dont l’intrigue se déroule dans l’univers mythologique nordique, et où Angrboda, « celle qui annonce le malheur », est carrément incarnée par une personnage africaine avec des dreadlocks! Ou encore dans le futur film « live » produit par Disney, et reprenant l’histoire d’Ariel, une sirène originellement rousse et à la peau blanche, mais où elle sera jouée par une actrice noire, qui se retrouve à essuyer les pots cassés pour une production woke alors qu’elle n’y est pour rien.

Au fond, qu’est-ce que cela veut dire de remplacer des acteurs blancs par des acteurs noirs, en sachant pertinemment que cela va faire polémique? Cette volonté de provoquer la « majorité blanche » pour l’accuser ensuite de racisme a en réalité pour effet d’instrumentaliser des personnes ayant une couleur de peau différente et de les placer en première ligne malgré eux pour promouvoir le wokisme. Plutôt que de les mettre à l’honneur en parlant de leurs « origines », les producteurs et scénaristes wokes les forcent à tenir des rôles issus d’un fond culturel qui n’est pas le leur, voire qui leur a été imposé souvent par la contrainte et la violence au cours d’épisodes colonialistes.

Kirikou, un succès inattendu

C’est là leur nier leur spécificité et leur histoire, leur identité propre, comme si les acteurs et actrices noirs n’avaient pas d’histoire, pas de culture, pas d’existence propre dès lors qu’ils ne seraient pas dans une société blanche. C’est, pourtant, loin d’être le cas, car les mythologies africaines sont extrêmement diverses et riches, de même que l’histoire des différents peuples africains. Le succès de Kirikou il y a quelques années démontre largement que ce fond culturel intéresse, et pas uniquement les personnes d’origine africaine. Même sans aller jusqu’à mettre en scène ces mythologies et histoires de façon ultra détaillée, il est largement possible de s’en inspirer pour produire des œuvres d’une grande qualité.

L’une des 450 cartes qui composaient le bloc Mirage+Vision, qui montrait un imaginaire africanisant riche et d’une réelle beauté.

Il y a 26 ans, l’entreprise de divertissement Wizards of the Coast qui produit (entre autres) le jeu de carte à jouer et collectionner « Magic: the Gathering », avait pérennisé ses débuts en exploitant diverses mythologies et thématiques pour ses extensions. L’une d’elles, probablement la plus réussie de son époque, avait justement pour thématique l’Afrique. Mirage, puis son expansion Visions, nous menait ainsi à travers un univers africanisant extrêmement bien réussi, depuis les savanes de la Mtenda jusqu’aux jungles de l’Ekoundou, en passant par les atolls de la Koukemssa etc. L’imaginaire africanisant était particulièrement intéressant, et démontre encore aujourd’hui que quand un producteur de contenus culturels s’intéresse réellement à ce qu’il fait, il sait magnifier l’imaginaire au-delà de simplement une stupide histoire de couleur de peau.

Les véritables racistes ne sont pas ceux qui se révoltent contre le wokisme, mais bien les wokes eux-mêmes, car ce sont eux qui réduisent la personne, son histoire, sa culture, son identité, à une simple couleur de peau, et considère qu’on peut substituer blancs et noirs sans que cela ne change quoi que ce soit, comme si nous étions interchangeables car sans personnalité, sans particularité, sans histoire ni culture propre. C’est cette éradication des particularités qui est scandaleuse, car ce sont elles qui permettent la diversité, et non juste mettre deux acteurs de couleurs de peaux différentes dans une production.

Le wokisme est un racisme de la plus insupportable des espèces, et il est temps de le dénoncer pour ce qu’il est: une abomination qui ne peut que mener à des conflits sociaux et raciaux par réaction identitaire.

John McWorther mettait déjà en garde contre le racisme woke en 2021, dans un ouvrage encore non traduit en français. Une interview est néanmoins disponible sur le site de l’express.

La Société industrielle et son avenir, par Ted Kaczynski

Industrial Society and its Future, tiré de The Road to Revolution, éditions Xénia (2008)

Ted Kaczynski est à n’en pas douter une personnalité étrange et sulfureuse. Mieux connu sous le nom d’UNABOMBER que lui a attribué le FBI lors de sa traque qui a duré 18 ans, Kaczynski est actuellement enfermé dans une prison haute sécurité américaine, et est atteint d’un cancer en phase terminale au moment où j’écris ces lignes.

Né en 1942, il est très tôt reconnu pour ses talents de mathématicien. Il entre à Harvard à 16 ans puis obtient son doctorat de mathématiques à l’université du Michigan à 25 ans. Spécialisé dans l’analyse complexe des fonctions géométriques, il deviendra dès 1967 professeur adjoint à Berkeley, en Californie. Cette expérience semble le marquer profondément, comme nous le verrons plus loin.

En 1971, Kaczynski plaque tout et part vivre dans une cabane sans eau ni électricité, dans le Montana, sur un terrain forestier semi-montagneux qu’il a acquis. Sa vie publique ne reprendra qu’en 1996, lorsqu’il sera arrêté par le FBI pour avoir envoyé 16 colis piégés à diverses personnes à travers les Etats-Unis. La motivation de ces attentats était de lutter contre la destruction de l’environnement, contre des personnes représentant aux yeux de Kaczynski la société industrielle et ses méfaits. Parmi ses victimes, figurent un étudiant, des vendeurs d’ordinateurs, des professeurs d’université, un publicitaire, le représentant de l’association de sylviculture de Californie…

Kacynski est arrêté en 1996, après la parution de son essai intitulé « la société industrielle et son avenir » dans le New York Times et le Washington Post. Ses idées et ses thèses sont reconnues par sa belle-soeur et son frère, qui alertent le FBI. Il est condamné à la prison à perpétuité sans possibilité de remise de peine en 1998, et comme je le disais, est toujours enfermé à l’heure actuelle.

Ted Kaczynski lors de son arrestation, le 3 avril 1996

Au fil des ans, Kaczynski s’est transformé en célébrité voire en exemple dans certaines sphères de la société, en particulier chez les militants écologistes radicaux (en particulier l’éco-fascisme), ainsi que chez une certaine frange de la droite radicale, de façon assez marginale. Son essai, en particulier, est devenu une des références culturelle que l’on voit régulièrement passer dans certains memes, en particulier ses deux premières lignes: « la société industrielle et ses conséquences ont été une catastrophe pour la race humaine ».

Parce que justement cet essai est devenu central dans une certaine pensée idéologique, j’ai décidé de m’y intéresser et d’acquérir l’ouvrage intitulé « The Road to Revolution », publié aux éditions Xénia (Suisse) en 2008, qui rassemble les essais de Théodore Kaczynski et la version « définitive », revue et corrigée, de l’essai « La société industrielle et son avenir ».

La Société Industrielle et son avenir

Cet essai est sans aucun doute l’écrit le plus connu de Kaczynski, même si de l’aveu de son auteur, il n’a absolument rien d’original et est même très superficiel. L’objectif de cet essai n’était pas de poser un programme ni de présenter des idées nouvelles, mais de les faire découvrir à un grand public qui ne les aurait autrement jamais découvertes. Comme l’explique Kaczynski dans le post-script de son essai, il s’agit de donner accès à des idées que les livres de l’époque étaient trop complexes pour être intelligibles par le grand public. Notamment, les oeuvres de Jacques Ellul semblent avoir été sa principale source d’inspiration. Ellul était un professeur d’Histoire du Droit français, qui s’est spécialisé dans les formes de l’aliénation au sein de la société du 20e siècle. Auteur de plus de 50 ouvrages au long de sa carrière, sa pensée est diverse et rend son oeuvre difficilement classable, même si certaines thématiques ressortent régulièrement. Spécialiste du marxisme, dont il a tenu un cours à l’université de Bordeaux pendant une trentaine d’années, Ellul a également tenu de très vives critiques contre la société industrielle aux USA, et en particulier contre ses effets psychologiques sur les ouvriers des grandes usines de production. Ellul a également été l’un des premiers militants pour l’environnement, avant que le mouvement écologiste se transforme en parti politique.

Jacques Ellul dans son bureau de travail, date inconnue

La proximité de pensée entre Kaczynski et Ellul n’est donc pas étonnante, puisqu’elle dérive d’un même postulat: la société industrielle a été une catastrophe pour l’espèce humaine. Kaczynski n’a fait que rendre les idées d’Ellul intelligibles pour le peuple américain.

La forme de son essai n’étonnera pas les habitués des lectures mathématiques: divisé en 232 points, La Société Industrielle et son Avenir (ISAIF, pour « Industrial Society and its Future ») est un essai structuré et relativement concis, rédigé dans un langage simple et accessible, sans jargon scientifique ni idéologique.

Son contenu, en revanche, peut surprendre ceux qui imaginent avoir affaire à un essai environnementaliste, car loin de se focaliser sur ces points, cet essai se veut avant tout une critique très sévère contre le système politico-médiatique qui asservit l’être humain (et, certes, a des conséquences sur l’environnement).

La cible principale de Kacynski présente ainsi deux visages: d’une part, la technologie, dont l’usage et le développement n’a eu de cesse de réduire les libertés humaines à ses yeux, et d’autre part, le gauchisme, qui consitue selon lui une sclérose de la pensée et éteint toute indépendance d’esprit. La conjugaison de ces deux phénomènes entrainera pour Kaczynski une catastrophe d’ampleur pour l’Humanité.

Le gauchisme selon Kacynski

Abordé dès la première partie d’ISAIF, à partir du paragraphe 6, le gauchisme représente pour Kaczynski tout ce que la société industrielle a produit de mauvais, en broyant les êtres humains pour les réduire à l’état de gauchistes, c’est à dire de personnes faibles et vulnérables dont le nombre permet de détourner le système démocratique en leur faveur, du moins en apparence. Le gauchiste est défini comme « toute personne souffrant d’un sentiment d’infériorité », c’est à dire ayant une faible estime de soi, une impression d’impuissance face aux événements, des tendances à la dépression, à l’auto-culpabilisation, au défaitisme, à la haine de soi, etc., de façon plus ou moins réprimée.

Kaczynski explique que ce genre d’individus se retrouve principalement chez les militants des droits humains et des minorités raciales et/ou sexuelles, ainsi que chez les militants des droits des animaux. Pour une raison simple: ces causes où l’on défend les « faibles » sont extrêmement gratifiantes pour l’égo car dans nos sociétés démocratiques et égalitaristes, elles sont facilitées par l’absence d’enjeu réel et d’opposition crédible. Kaczynski explique que ces « luttes » n’auront jamais de fin, parce qu’elles sont nécessaires aux gauchistes pour obtenir le sentiment de puissance dont ils se sentent privés dans leur vie quotidienne. Quels que soient leurs résultats, ils ne seront jamais suffisants, et il y aura toujours de nouvelles revendications allant encore plus loin que les précédentes, quitte à revendiquer l’inacceptable. Sans ces « luttes », le gauchiste ne peut pas exister (et inversement). Notons que le gauchisme ne consiste pas en un alignement politique avec des partis socialistes ou marxistes, même si ces partis tendent à occuper ces domaines.

Manifestation pro-LGBT, USA, juin 2020

Sur ce point, Kaczynski semble avoir particulièrement été influencé par sa brève carrière universitaire à Berkeley, en Californie. Au moment où il est étudiant puis devient professeur, se déroulent en effet les protestations en faveur du mouvement des droits civiques, qui déboucheront sur l’abolition des lois ségrégationnistes en 1968 dans tous les Etats Unis. L’influence du « gauchisme » dans les universités américaines, en particulier en Californie, est à l’époque particulièrement importante, et n’a eu d’ailleurs de cesse de se renforcer jusqu’à nos jours. A ce titre, on ne peut que reconnaître que Kaczynski avait raison et dans une certaine mesure prédit l’avènement du « wokisme », apparu dès le début des années 2000 justement en Californie (ISAIF a été rédigé en 1995), sous la forme d’une radicalisation et d’une polarisation extrême des revendications sur les droits des minorités en particulier sexuelles, à travers le mouvement LGBT.

Le wokisme démontre que l’affirmation selon laquelle « quels que soient leurs résultats, ils ne seront jamais suffisants aux yeux des gauchistes » formulée par Kaczynski est pertinente. Tout ce qui a été écrit sur l’université Evergreen, ou sur les dérives idéologiques voire sectaires de Science Po Paris, trouvait déjà son explication chez Kaczynski. Mais pour lui, justement, le gauchisme n’est pas la vraie racine du mal, car il n’est que la conséquence de la révolution industrielle du 19e siècle, et ne pourra que s’aggraver à mesure que le temps passe et que la technologie prend le contrôle de nos vies.

La technologie comme racine de tous les maux

A partir du paragraphe 121, Kaczynski s’attaque frontalement au problème de la technologie. Après avoir expliqué dans les paragraphes précédents que la liberté ne pouvait plus s’obtenir par de simples réformes politiques, Kaczynski s’emploie à démontrer que la raison pour laquelle les réformes ne peuvent plus fonctionner est liée aux progrès technologiques.

Pour lui, le Progrès n’a eu pour conséquences que de rendre l’être humain esclave de la société, en le réduisant à l’état de simple rouage dans la machinerie du système, et en le privant de plus en plus de toute influence et capacité de décision. S’il vise évidemment l’influence des médias qui, à travers le papier, les ondes radiophoniques et la télévision façonnent les esprits et les anesthésient en quelques sortes face à l’horreur de leurs vies ultra-socialisées (on ne peut s’empêcher ici de penser aux travaux de John Calhoun sur les populations de rats, en particulier la fameuse « Mouse Utopia »), la cible de Kaczynski n’est cependant pas seulement les médias, mais l’ensemble de la technologie moderne: téléphone, voiture, électroménager, ordinateurs, bref, toute la technologie industrielle et post-industrielle.

C’est ici, je dois dire, que le message de Kaczynski se brouille un peu. On comprend évidemment que son existence dans une simple cabane au fond des bois a constitué pour lui le modèle de société qu’il désire pour l’ensemble de l’Humanité, en postulant que ce n’est qu’ainsi qu’elle pourrait se libérer et se réaliser. En fait, cette partie est plutôt brouillonne car Kaczynski accepte sans l’expliquer les thèses anarcho-primitivistes. En somme, il s’agit d’une redite de Rousseau, pour qui le « sauvage », le « primitif », n’ayant pas été corrompu par la Société, est donc fondamentalement « bon ». Et c’est là l’une des énormes failles de cet essai, car évidemment, ce n’est pas le cas. Kaczynski lui-même rédigera par la suite une critique de cette pensée, dans l’essai « La vérité à propos de la vie primitive: une critique de l’anarcho-primitivisme ». Mais pour des raisons de simplicité et d’accessibilité, ISAIF ne discute pas cette théorie, et l’accepte pleinement.

Résoudre les problèmes de la Société Industrielle, c’est donc l’abolir par un révolution dont l’objectif est le retour à une vie pré-industrielle, essentiellement forestière. Clairement, Kaczynski se pose en partisan des thèses néo-luddites et semble militer en faveur d’une vie communautaire telle qu’on la trouve chez certains groupes religieux, comme les Amish américains. Cela, néanmoins n’est pas explicite, et n’est d’ailleurs pas très clair, car si Kaczynski explique que toute technologie est mauvaise et ne peut qu’avoir de mauvaises conséquences sur les libertés individuelles, il n’explique pas jusqu’où, selon lui, il faudrait régresser. Le terme de « technologie » n’est en effet jamais réellement défini par Kaczynski, et peut s’appliquer aussi bien aux technologies industrielles (utilisation du charbon, de la vapeur, etc.) qu’aux technologies pré-industrielles, telles que la métallurgie (mines, forges…). Les Amish, par exemple, vivent encore selon les technologies disponibles au 18e siècle et n’emploient ni électricité, ni carburants, mais n’en sont pas moins des artisans faisant usage de métaux. Or, les métaux ne s’obtiennent pas sans conséquences, ni pour les êtres humains, ni pour l’environnement, même dans les conditions d’extraction les plus simples, comme on le voit dans les mines artisanales en Afrique et en Amérique du Sud. Ces mines ont d’ailleurs un impact majeur sur l’environnement: destruction des sols, des aires boisées, pollution des cours d’eau, empoisonnement des mineurs, etc.

Mine d’or artisanale en Guinée. Les effondrements sont fréquents et causent la mort de centaines de personnes chaque année, sans parler de l’impact environnemental majeur…

Kaczynski essaie de résoudre ce problème en distingant deux types de technologies: celle à petite échelle (artisanale), et celle à grande échelle (industrielle). Leur différence réside dans leur complexité: la première ne nécessite que de « petits » savoirs aisément transmissibles, tandis que la seconde nécessite toute une organisation pour la soutenir. C’est ainsi cette seconde technologie qu’il souhaite voir disparaître, au profit de la première, en expliquant qu’elle ne disparaît jamais vraiment. Malheureusement, il prend ici l’exemple de l’Empire Romain, en affirmant qu’après sa chute, aucun « petit » savoir ne s’est perdu. Cette affirmation est malheureusement on ne peut plus erronnée. L’alphabétisation s’est effondrée en même temps que l’Empire Romain, et avec elle a disparu presque l’ensemble des connaissances de l’époque. Même les savoirs artisanaux n’ont été que difficilement transmis, et l’ont été de façon parcellaire. Les techniques de construction, les techniques métallurgiques, même l’agriculture et l’élevage, ont connu une régression sans précédent dans l’histoire occidentale. Ces savoirs n’ont été retrouvés qu’avec les Croisades, non pas par le contact avec les musulmans au Moyen-Orient, mais avec l’Empire Romain d’Orient, à Constantinople, qui constituait l’un des passages obligés vers la Terre Sainte. Car l’Empire Romain n’a disparu qu’en Occident, pas en Orient. L’Orient n’a pas connu l’effondrement sociétal qu’a connu l’Occident, même si la décadence impériale a tout de même eu un impact sur les connaissances de l’époque. La « petite renaissance » du 13e siècle a été générée précisément par cette redécouverte, avant que les dynamiques socio-économiques rompent à nouveau les liens et le développement jusqu’au fameux « Quattro Cento » italien et le renouveau du commerce international avec Venise, l’Espagne et le Portugal, puis les Pays-Bas, la France et l’Angleterre à partir du 16e-17e siècle.

Le problème de la régression technologique n’est pas le seul point noir de cet essai. Kaczynski prône une révolution plutôt qu’une réforme. Kaczynski n’est pas un décroissant au sens actuel du terme, mais souhaite plutôt un effondrement total. Il n’est pas collapsologue non plus, il n’explique jamais comment la Société Industrielle va s’effondrer, il se borne à expliquer que la Technologie aura des conséquences désatreuses pour notre espèce et probablement l’ensemble de la planète. Il n’explique pas comment il envisage cette révolution. On devine qu’il prône une révolution violente, puisque lui-même s’est employé à expédier des colis piégés à des personnes qu’il estimait être responsables de l’état des choses. C’est ici sa rupture avec Ellul, qui n’envisageait jamais d’action violente. Justement, cette révolution que Kaczynski appelle de ses voeux en évoquant les révolutions de 1789 et de 1917, semble n’être pour lui qu’une passade: il n’envisage pas réellement ce qu’il y aura après. Il imagine simplement que la société aura régressé au point que la vie démocratique et le respect de l’environnement permettront à tout le monde de vivre librement. Outre le fait qu’il n’explique jamais réellement en quoi consisterait cette liberté et en quoi elle serait préférable à la situation actuelle (il se borne à pointer du doigt le gauchisme comme étant une conséquence négative de la société industrielle, causée par l’aliénation décrite par Ellul), il semble ne pas se soucier de ce qui adviendra par la suite. Il l’explique même très clairement au paragraphe 212: il se fiche de savoir si 500 ou 1000 ans après la révolution la société retourne vers l’industrialisation, ce n’est pas son problème mais celui des personnes qui le vivront. Stupéfaction que de constater que le modèle de vie prôné par Kaczynski ne semble pas être à ce point préférable pour notre espèce qu’il se fiche totalement de savoir si ses descendants y retourneront!

Conclusion

A travers ce paragraphe 212, je pense que l’on peut clairement comprendre que Kaczynski n’a pas réellement écrit un ouvrage pour exposer son idéologie et la faire partager au amximum. Il se fiche de sa propre révolution et de ses conséquences ou de sa pérénité.

Industrial Society and its Future, par ces quelques lignes, n’est pas tant un essai qu’une auto-justification où Kaczynski essaie de se convaincre du bien fondé de ses propres crimes. L’enrobage idéologique, d’essence néo-luddite plutôt qu’environnementaliste, ne sert qu’à camoufler la propre impuissance de Kaczynski à vivre en paix.

Il n’explique jamais que que sa motivation originelle était de fuir la société, par ce « recours au forêts » décrit par Ernst Jünger, dans son Traité du Rebelle, où il décrit la figure du Walganger scandinave, littéralement « celui qui fuit dans la forêt ». Ce qu’est clairement Kaczynski lorsqu’il se réfugie dans sa cabane forestière en 1971, après son expérience tumultueuse à Berkeley. L’envoi de ses bombes n’a commencé qu’en 1978, après la destruction de plusieurs endroits qu’il affectionnait dans ses environs par une exploitation forestière. Dès 1975, il avait mené sans succès des opérations de sabotage de diverses entreprises de construction et de déforestation.

C’est finalement parce que lui-même s’est senti impuissant face à ces destructions qu’il a commencé à vouloir agir, puis à envoyer des colis piégés. A mesure qu’il s’enfonçait dans une attitude revancharde, Kaczynski s’est senti obligé de justifier ses actes et de se présenter comme un révolutionnaire. Si on lui applique sa propre définition du gauchiste, on ne peut que constater que Kaczynski en est un lui-même, s’engageant dans une cause sans fin, sans objectif réellement défini en dehors de grands principes, et surtout impuissant à lutter et à exister dans la société industrielle autrement qu’à travers son propre (vain) combat non pas pour l’environnement, mais contre la technologie.

Ted Kaczynski à Berkeley, c. 1967

Kaczynski a été diagnostiqué schizophrène avant son procès en 1998, sans que l’on sache bien s’il l’était dès le départ, ou s’il a développé ces tendances lors de son isolement dans les forêts du Montana. Une autre thèse, plausible mais sans réelle confirmation, explique que Kaczynski, du temps où il était étudiant, a participé à certaines expérimentations en lien avec le programme MK-Ultra (qui n’est PAS une théorie conspirationniste), visant à tester diverses techniques de contrôle et de conditionnement par l’usage de drogues. Il se trouve que justement, Kaczynski a effectivement participé à des études sur le contrôle et le conditionnement en tant que cobaye, sous l’égide du Pr. Henry Murray, de l’université de Harvard, lorsqu’il avait 17 ans. L’expérimentation de Murray consistait en la rédaction d’essais qui seraient ensuite donnés à un autre participant, dont la mission était de démonter de façon très agressive chaque argument développé dans l’essai. Kaczynski a participé à l’étude pendant plus de 200 heures, subissant les assauts de ses collègues de façon hebdomadaire. Si Kaczynski a toujours affirmé que ces expériences n’ont eu aucun impact sur sa vie, les psychologues qui l’ont examiné pensent le contraire.

Ted Kaczynski, peu après son arrestation en 1996

Théodore Kaczynski apparaît, à la lumière de ses écrits et de sa vie, comme une victime lui-même du système industriel, qui n’a su affronter les conséquences de celui-ci: aliénation, marginalisation, incapacité d’action et d’influence, sentiment de vacuité et dépression. Génie des mathématiques, Kaczynski n’avait pas l’esprit pour subir la société moderne: il aurait été qualifié aujourd’hui d’autiste, et probablement confié à des services éducatifs adaptés. Sa volonté de fuite, et la destruction de ce qu’il percevait comme son sanctuaire, l’a amené à commettre des actes criminels pour essayer de composer avec sa propre impuissance à affronter le monde. Cette inadaptation a causé la mort de 3 personnes, et en a blessé 23 autres plus ou moins grièvement. Même si Kaczynski a tenté de dissimuler sa faiblesse derrière un édifice idéologique et des revendications finalement peu claires, il est évident que La Société Industrielle et son Avenir ne peut être raisonnablement considéré comme un essai fondamental: si ses affirmations peuvent être pertinentes et si ses critiques doivent être entendues pour que la société s’améliore, entre les lignes on y devine surtout une auto-justification pour des actes qui n’ont eu aucune autre conséquence que de détruire des vies personnelles, et n’ont eu aucun impact sur la Société Industrielle elle-même…

L’Empire américain a fui l’Afghanistan

L’Afghanistan et ce qui se déroule en ce moment n’est que le dénouement naturel d’un conflit dont personne n’a voulu.

Pour beaucoup de jeunes aujourd’hui, l’Afghanistan est juste un conflit qui dure depuis longtemps. Mais ça n’est pas que ça.

Tout a commencé le 12 septembre 2001, le lendemain de attentats de New York. Les USA viennent de prendre la pire attaque terroriste sur leur sol, le peuple américain réclame des explications et le gouvernement Bush a été tellement nul dans la gestion de la crise qu’ils cherchent à désigner un responsable. Celui-ci est évident et tout trouvé: il s’agit d’Oussama Ben Laden et son organisation Al Qaeda, qui a commis plusieurs attentats contre les intérêts américains, notamment une première attaque au camion à l’explosif contre le World Trade Center, et une attaque suicide au bateau rempli d’explosif contre l’USS Cole. Quelques heures avant l’attaque de New York, Al Qaeda avait réussi à tuer le Commandant Massoud, une figure des Mujahidin qui ont lutté contre les soviétiques dans les années 1980, et qui résistait aux taliban et à leur règne obscurantiste.

S’engage alors une période de 3 mois où on s’agite en coulisse, pendant que les USA prédisposent leurs pions sur le Grand Echiquier. Les USA brandissent un ultimatum aux taliban en exigeant qu’ils livrent Oussama Ben Laden et son organisation aux USA. Les taliban refusent, parce que Ben Laden est lui aussi l’un des combattants qui a lutté contre les soviétiques. On apprendra plus tard que c’est par son intermédiaire que les USA et Israel ont pu faire livrer des missiles stinger aux mujahidin afghans (rappelez-vous comme ils étaient célébrés par Hollywood dans les années 1980, notamment à la fin de Rambo 3).

La guerre débute donc le 7 octobre 2001, même pas un mois après les attentats. A ce moment là, il ne s’agit que de forces spéciales au sol pour accompagner tous les groupes qui résistent aux taliban, aidés par des frappes aériennes plus ou moins ciblées (les B-52 ne font pas dans la dentelle), qui permettent la reconquête rapide de Kaboul et des provinces environnantes. Bush installe alors une base géante à Baghram, à une heure au nord de Kaboul, où se déversent des dizaines de milliers de soldats américains, puis britanniques, puis l’ensemble de l’OTAN « élargie » (avec des troupes de pays alors candidats pour rejoindre l’alliance, comme la Géorgie, mais c’est une autre histoire). A l’époque, Jacques Chirac refuse de déployer un contingent de soldats français: il a parfaitement conscience de l’inutilité d’une occupation dans un pays qui ne s’est jamais soumis à autre chose qu’à l’Islam. Surtout, il sent venir ce qui arrivera très vite au cours de l’année 2002: les USA annoncent qu’ils n’en resteront pas là.

Colin Powel en 2003, au Conseil de Sécurité, agitant une fiole « d’anthrax » pour prouver que Saddam Hussein produit des armes bactériologiques.

Bush et son gouvernement annoncent que les opérations militaire vont se poursuivre en vue d’installer durablement la « démocratie » dans la région. Sous l’impulsion de Condoleeza Rice et de Donald Rumsfeld, et sur les conseils « avisés » de Benyamin Netanyahu, l’attention des USA se tourne vers l’Irak de Saddam Hussein, accusé de financer le terrorisme. La suite, c’est la guerre contre l’Irak dès 2003 qui sera une véritable catastrophe pour les USA, peut être encore plus qu’en Afghanistan. Tout le monde a compris à ce moment-là que ce n’est plus une histoire de terrorisme, mais un prélude à une guerre contre l’Iran, désormais encerclé par les bases américaines en Irak et en Afghanistan.

Ces deux conflits se passent très mal, au point que la guerre contre l’Iran, qu’on anticipait pour 2006 à l’époque, est sans cesse évoquée et repoussée. Le manège des « avertissements » et « lignes rouges » s’ensuit pendant 10 ans avant qu’Obama tente de négocier un accord sur le nucléaire avec l’Iran. Conscient de son encerclement, l’Iran a joué à fond la carte de la recherche nucléaire « civile » (mais à finalités militaires), suivant en cela l’exemple de la Corée du Nord qui a appliqué la bonne vieille dissuasion nucléaire pour être tranquille.

On n’entend plus parler de l’Iran depuis quelques années maintenant, en tout cas pas en ce qui concerne son programme nucléaire. A titre perso, je soupçonne qu’ils l’ont depuis quelques années et qu’ils jouent un jeu de dupes sur le modèle israélien. En tout cas, depuis qu’on n’entend plus parler du programme nucléaire iranien, les troupes US évacuent l’Irak et l’Afghanistan.

Moqtada al-Sadr, créateur de l’Armée du Mahdi, mouvement chiite parrainé par l’Iran, qui causera énormément de dégâts contre les troupes américaines en Irak à partir de 2006. Il est aujourd’hui l’un des hommes politiques incontournables de l’Irak.

En Irak, les grands vainqueurs sont les chiites et en particuliers les hommes de Moqtada al-Sadr, ancien fondateur et grand patron de l’Armée du Madhi qui a résisté aux américains, ainsi que ceux qui ont créé ce qui allait devenir l’Etat Islamique (le Califat) d’Abu Bakr al Baghdadi.

En Afghanistan, les grands vainqueurs sont les taliban, qui bien loin d’avoir été affaiblis par l’occupation US, en sortent doublement renforcés, en incarnant d’une part un gouvernement « vertueux » (sous leur contrôle, il n’y avait plus aucune production d’opium et donc aucun drogué, et les violeurs étaient systématiquement mis à mort) après 20 ans de gouvernement totalement corrompu, et surtout en n’ayant en face d’eux plus aucune résistance: les anciens mujahidin qui les avaient combattus étant soit morts, soit les ayant rejoints. La Chine est déjà prête à leur accorder une reconnaissance diplomatique, dans le cadre de ses développements surnommés « routes de la soie », et qui sont un instrument de « soft power » pour établir une domination économique puis culturelle dans la région des « stan », du nom de ces pays d’Asie centrale dont les noms se terminent ainsi (voir l’initiative « one belt, one road » en Asie du sud-est et dans l’océan indien, ainsi que le développement « gagnant-gagnant » en Afrique, c’est un sujet passionnant).

L’avenir, quel est-il?

En Afghanistan, clairement, ça va être le retour d’un pouvoir islamique qu’on peut qualifier sans mépris ni condescendance d’obscurantiste. Les taliban avaient interdit les cinémas, les salles de spectacles, les concerts, la musique (y compris à la radio), ainsi que l’éducation des filles, obligées de porter le fameux « chador » grillagé, la burqa. Mais ils ont aussi interdit la drogue (la culture d’opium était punie de mort), l’alcool et la tradition des « bacha bazi », consistant à habiller des petits garçons en filles pour les faire danser de façon lascive et provocante avant de leur faire faire des actes sexuels. La corruption est virtuellement inexistante là où les taliban règnent, aussi surprenant que ça puisse paraître. S’il existe quelques poches où c’est un « pseudo Etat-Islamique » qui contrôle le terrain, il est clair que cette organisation n’a aucun avenir en Afghanistan, qui devrait être ainsi le premier pays à se débarrasser du terrorisme sur son sol…

En ce qui concerne les USA, en revanche, les choses sont beaucoup moins « roses ». La perte de leadership absolue que représente cette deuxième défaite stratégique après celle subie en Syrie et en Irak révèle les faiblesses de ce pays qui se prenait pour le gendarme du monde depuis 1991. La dette contractée pour les guerres contre « l’Axe du Mal » de Bush constitue à elle seule une bonne part du déficit public américain (s’y rajoutent celles d’Obama dans des conflits annexes, et le développement des drones en vue d’assassinats « ciblés »). L’Empire américain est en train de s’effondrer sous nos yeux, à la fois dans sa dimension internationale et dans sa dimension interne. La société américaine est dans un état pire que celui dans lequel se trouvait la société soviétique sous Gorbatchev, juste avant la chute du Mur de Berlin. C’est pareil en Europe, et en particulier en France, où l’Etat est si pourri de l’intérieur qu’il ne faudra plus grand chose pour le faire s’écrouler.

L’Afghanistan n’est que le début insignifiant de quelque chose de bien plus grave: la décennie à venir sera celle de l’effritement puis de l’effondrement de la société libérale occidentale actuelle, qui est devenue un cauchemar pour tout le monde.

Le « cloaque comportemental » chez le rat et ses application chez l’Homme: l’expérience Mouse Utopia

Vous n’avez probablement pas entendu parler de l’expérience éthologique (l’étude des comportements animaux) baptisée « Mouse Utopia ».

Elle constitue, pourtant, l’une des études majeures de la seconde moitié du 20e siècle, plusieurs fois répliquée et vérifiée, et surtout jamais invalidée. Et les perspectives qu’elle offre sur l’avenir de la société humaine « post-moderne » sont des plus sombres…

John Calhoun a commencé à la fin des années 1950 ce qui se produisait quand une population de rats disposait en pleine nature d’un espace sans prédateurs, où se trouvaient en abondance nourriture, eau et matériaux. Il a répliqué cette expérience avec des rats de laboratoire en milieu fermé, puis, au tournant des années 1970, avec la fameuse expérience « Universe 25 », aussi appelée « Mouse Utopia ». Les trois expériences ont démontré que des animaux dits « sociaux » (dont font partie les êtres humains) finissent invariablement par adopter des comportements asociaux même lorsqu’il n’y a aucune rivalité pour les ressources, menant leur « société » vers l’extinction.

La vidéo (en anglais) que je vous poste résume en profondeur l’expérience.

Point ici de blabla concernant les riches et les pauvres, la lutte des classes et toutes ces conneries qui dédouanent en permanence les asociaux: chaque souris a accès à toute la nourriture, toute l’eau et tous les matériaux qu’elle désire. Seul l’espace diminue à mesure que la population augmente, mais la « colonie » peut théoriquement accueillir 3800 individus avant d’être en surpopulation.

Or, qu’observe-t-on?

Dans la première phase de l’expérience, il n’y a que 8 couples de rats, qui s’adaptent à leur environnement et à la présence des autres. Il leur faut du temps, mais ces rongeurs finissent par s’installer et se reproduire.

La deuxième phase, est celle d’une expansion rapide. La population double tous les 55 jours (une génération), comme une parfaite reproduction des travaux de Thomas Malthus. La population augmente jusqu’à un peu plus de 600 individus… et les choses basculent.

La troisième phase voit les souris réduire leur taux de reproduction, au point qu’il faut désormais 3 fois plus de temps (145 jours) pour que la population double. Il n’y a rien en terme physiques qui explique ce ralentissement: tout se passe au niveau social. Les souris subissent de plus en plus d’interactions entre elles à mesure que la population augmente, que ce soit pour la nourriture, la boisson, ou la construction des nids, sans même parler de la reproduction. Sur ce point en particulier, divers phénomènes apparaissent:

– les mâles dominants protègent leurs nids et leur progéniture, et chassent les autres mâles, qui se retrouvent au milieu de la colonie, où ils ont énormément de contacts avec les femelles mais n’ont pas accès à la reproduction avec elles. Au point qu’ils finissent par essayer de se reproduire entre eux voire de convaincre un dominant de se reproduire avec eux.

– les femelles sont hyper sollicitées pour la reproduction dès qu’elles sortent des nids pour aller chercher des matériaux propres ou de la nourriture. Elles finissent par ne plus sortir qu’exceptionnellement, mais sont épuisées et délaissent leurs petits. Ce délaissement est aggravé par le fait que les mâles dominants devant en permanence assurer la protection des nids finissent par ne plus pouvoir le faire, trop épuisés. La défense du nid incombe donc en dernier recours aux femelles, qui finissent par ne plus se reproduire du tout.

– l’agressivité générale explose, et même les enfants et les bébés finissent par la subir, parfois à mort. Toutes les souris ont des traces de morsure, en particulier sur la tête et la queue.

– certains individus essaient de fuir cet enfer d’interactions sociales constantes en s’isolant dans les zones les plus hautes de la colonie (et les moins occupées). Ils refusent toute interaction sociale, et passent leur temps à manger, boire, dormir, et se nettoyer la fourrure. Ils refusent même de se reproduire.

La quatrième et dernière phase est celle de l’extinction. Le délitement social de la colonie fait que toutes les souris, pourtant naturellement « sociales », sont désormais « individualistes ». Elles ne s’occupent plus que de leurs propres besoins, et la colonie ne fonctionne plus comme une société mais comme l’addition d’individualités. Il n’y a plus de naissances, et la population commence à s’effondrer, sans que rien, pas même l’augmentation de l’espace disponible par la diminution de population, ne contrebalance cet effondrement: l’esprit « social » est mort.

Tout le déroulement de l’expérience est expliqué ici par John Calhoun lui-même: https://www.ncbi.nlm.nih.gov/…/pdf/procrsmed00338-0007.pdf

Plusieurs explications ont été avancées, notamment le fait qu’il n’y avait pour ces souris plus aucun « défi », rien à accomplir, une fois que les nids ont été établis. Sans cohésion sociale maintenue artificiellement par le sentiment de lutte contre l’adversité, la colonie ne peut que devenir un enfer de comportements asociaux (individualistes) voire pathologiques. De fait, lorsque l’expérience a été reproduite avec de quoi stimuler la « créativité » des souris, les colonies ont pu perdurer plus longtemps, voire prospérer.

Une autre explication tendait au fait que les souris étaient « piégées » dans la colonie, et ne pouvaient pas « émigrer » pour fuir, ce qui n’aurait fait que reporter le problème dans le temps, puisque le cycle malthusien se serait simplement reproduit ailleurs.

Les principales critiques contre ces expériences qui, selon John Calhoun, offrent un aperçu sombre sur l’avenir de l’humanité, est que justement, l’être humain est plus complexe que de simples souris de laboratoire. Mais l’est-on vraiment? Tout ce qu’Univers 25 a vu se produire vous a probablement interpellé et vous a fait établir des parallèles avec notre propre société post-moderne actuelle. L’individualisme, la violence omniprésente, ce sentiment de n’avoir rien à accomplir, ces délires asociaux, l’effondrement des taux de natalité, tout résonne avec notre mode de vie urbain et périurbain contemporain.

Dans cette perspective, ces pseudo-luttes contre les inégalités sociales (qui ne font que les entretenir encore plus), ce combat ridicule contre le « réchauffement climatique » et ses déclinaisons écologistes (jamais environnementalistes), et tous ces grands combats idéologiques, prennent un jour nouveau: il ne s’agit que de nous divertir, de nous donner le sentiment d’accomplir quelque chose de nos existences pathétiques. Notre natalité, pourtant, continue de plonger. Elle n’est compensée que par l’importation d’individus allogènes, qui eux aussi subissent dès la deuxième génération les effets délétères de notre mode de vie post-moderne et deviennent aussi aliénés que « nous ».

Quel avenir, alors, pour notre espèce? Faut-il accepter ou lutter contre l’extinction? Et surtout, comment?

Il n’y a pas de solution « miracle »: il faut reconstruire la communauté, à taille humaine, celle où l’on connait le nom de chacun de ses voisins, en commençant par reconstruire l’unité fondamentale de toute société humaine: la famille. C’est quand la famille déraille que toute la société s’effondre.

Il ne faut pas non plus se leurrer: c’est un travail qui se réalise sur plusieurs générations. Nous ne pouvons que planter les graines, nous ne verrons pas les fruits. C’est comme cela que se sont construites toutes les grandes civilisations, en particulier les nôtres, de l’Atlantique à l’Oural.

Humanité: une histoire optimiste, ou la crétinerie communiste en exemple

Rutger Bregman, Humanité: une histoire optimiste, Seuil, 423p.

Un livre révolutionnaire dont l’objectif est de changer la vision des gens sur la nature de l’être humain, qui serait bon, gentil et prévenant envers son prochain. L’auteur explique que c’est d’ailleurs un fait scientifique attesté, que nous ignorons pourtant. Étonnant? Non, révolutionnaire, on vous dit!

Bregman a rédigé son livre avec une méthode éprouvée, qui est de démonter une thèse pour la décrédibiliser, tout en amenant son lecteur vers sa propre conclusion. Après tout, si tel ou tel discours est erroné, c’est que l’alternative est forcément vraie. C’est totalement redoutable et particulièrement efficace, d’autant plus quand le lecteur est confronté à ses propres aspirations et opinions et conforté dans celles-ci.
Le point fort de ce livre est qu’il fait appel à des connaissances sur notre nature profonde. Notre histoire et notre évolution, notre psyché, notre sociabilité, tout est brillamment appelé en renfort de la thèse de l’auteur.

D’abord incrédule, je me suis laissé prendre au jeu du « et si… ». On a envie d’y croire: le monde dans lequel nous vivons est déprimant, et si nous pouvions avoir confiance envers nos semblables, le monde serait probablement meilleur.


Seulement, j’ai eu un sentiment de malaise indéfinissable et grandissant au fil des pages. Bregman démolit Sa Majesté des Mouches, Stanley Milgram (Soumission à l’Autorité), Philip Zimbardo (the Lucifer Effect), Thomas Hobbes (Léviathan), nous parle de l’auto-domestication de l’être humain, nous compare aux grands singes, nous parle de l’île de Pâques et de sa « vraie » histoire, nous explique que la guerre n’est pas naturelle etc. Il le fait très bien, mais à force d’insister, on sent que quelque chose cloche et nous agace. Et on finit par se rendre compte que Bregman part systématiquement du fait particulier pour démonter le général. Il part de l’exception pour contredire la règle. Et ça, ça s’appelle de la manipulation.

Si j’ai mis de côté mes doutes sur la première partie de l’ouvrage, pour garder un esprit véritablement ouvert et mettre à l’épreuve mes certitudes, il y a eu un moment où j’ai failli fermer le livre, arrivé au premier quart de ma lecture. Bregman tombe dans la bonne vieille opposition Rousseau/Hobbes, résumée à « homme bon de nature » contre « homme mauvais par nature ». Évidemment, Bregman est du côté de Rousseau et explique que Hobbes s’est fourvoyé. De toute évidence, Bregman n’a jamais lu un quelconque mot de Hobbes.


Hobbes expliquait que « l’homme est un loup pour l’homme » dans l’état de Nature, parce que les désirs des uns et les désirs des autres entraient en conflit: la liberté des uns ne s’arrête pas là où commence celle des autres, et cherchera à s’exprimer en dépit d’eux. C’est la loi du plus fort qui règne. Dans un tel monde, la seule manière de se protéger individuellement contre autrui est d’unir ses forces à celles d’autres individus. Une telle union n’est possible que si un pacte social est formé entre les participants, dont l’effet principal est la mise en place de barrières aux libertés de chacun (« …là où commencent celles des autres »). le pacte social est la base fondamentale sur laquelle va se construire une organisation complexe qui prendra le nom d’Etat, qui acquièrera une autonomie propre vis-à-vis de ses membres, une sorte de monstre appelé « Léviathan » par Hobbes, en référence au monstre gigantesque de la Bible. Le Léviathan est ainsi un tout plus grand que la somme de ses parties. Il n’y a chez lui aucune référence au bien ou au mal, parce que tout ceci se passe en dehors de toute moralité. Hobbes passait pour un absolutiste parce qu’il considérait que le spirituel (la Religion) devait se soumettre au corps social (et donc au pouvoir civil), et non l’inverse.
Chez Bregman, Hobbes devient un cynique asocial faisant l’éloge du Pouvoir et de la tyrannie. Et évidemment, Rousseau est paré de toutes les vertus humanistes… Survient ainsi la première attaque contre la Propriété Privée, d’une manière si grossière et crasse que j’ai failli fermer le bouquin à ce moment là.

Ce passage est si central dans Humanité qu’il est difficile de croire que Bregman, qui a clairement fait des recherches importantes, n’ait pas lu Hobbes et n’ait pas sciemment rédigé son texte de façon à manipuler son lectorat dans le sens de sa propre thèse (j’y reviendrais). C’est là que j’ai réalisé que Bregman partait toujours du singulier pour contredire le général, ce que la suite de l’ouvrage me confirmera largement. Surtout, j’ai réalisé que Bregman, si enclin à démolir les arguments qui contredisent sa théorie, se livre sans mesure à une pratique qu’on appelle « cherry picking » (« cueillette de cerises »), c’est à dire à choisir spécifiquement des exemples qui vont dans son sens à lui. Alors qu’il remet toujours en doute les expériences et enquêtes qui tendent à démontrer l’inverse de ce que lui explique, il ne remet jamais en doute ses propres sources et articles, ce qui est pourtant l’un des fondements de la démarche scientifique. Pour un auteur qui affirme sans vergogne que sa thèse est « démontrée par la Science », autant dire que ça fait lever un sourcil. Mais j’ai poursuivi ma lecture, en considérant que Bregman voulait vraiment montrer quelque chose d’optimiste, et que remettre en question ses propres sources ne l’aurait pas vraiment permis.

Mais Bregman se contrefout de nous faire comprendre que « la plupart des gens sont des gens biens ». Non, il a un objectif derrière ça.
Et cet objectif apparaît dans toute sa splendeur dans le dernier quart de son bouquin: faire la promotion du Communisme et de toutes ses variantes contemporaines, présentées comme « révolutionnaires », « incroyablement réussies », « avec des résultats époustouflants ».
Et là, j’enrage, parce qu’il ose nous ressortir le bon vieux « Staline, Mao, les Khmers Rouges, c’était pas le vrai communisme ». « La propriété privée, c’est le mal, il faut tout mettre en commun ». Et sans surprise, je vois débarquer le nom d’Elinor Ostrom pour justifier cette affirmation, comme dans les immondices sur les « communs » rédigées par le collectif Utopia. Sauf qu’Elinor Ostrom n’a jamais été communiste: elle a travaillé sur la gestion commune des ressources détenues par des citoyens lorsque l’État ne peut ou ne veut pas s’impliquer. Son travail sur les « communs » n’a rien à voir avec l’abolition de la Propriété privée: chaque membre de la « communauté » détient l’entière et pleine propriété sur le bien qu’il verse au commun, et peut se retirer quand il le souhaite. Les communs, chez Ostrom, sont à comprendre comme « intérêts communs », et non comme « propriété commune ».


Bregman cite l’État de l’Alaska, qui verse à ses citoyens une pension tirée des revenus générés par l’industrie pétrolière. L’exemple parfait de ce que peuvent générer les communs: de l’argent de poche qui profite à tous pour ce que bon lui semble. Bregman, par contre, ne parle pas d’un autre État qui a fait exactement la même chose, et qui est aujourd’hui l’un des plus pauvres et des plus menacés de la planète: Nauru.
L’archipel de Nauru était extrêmement riche au 20e siècle grâce à l’exploitation de ses gisements de phosphates. Tout était payé par l’exportation de cette ressource, tout était pris en charge par l’État, et les habitants disposaient d’un niveau de vie très élevé. Puis les ressources se sont taries, et comme l’argent qu’elles ont généré a été employé pour les loisirs et la consommation, Nauru s’est retrouvée du jour au lendemain sans aucun revenu ou presque pour payer ses fastueux programmes sociaux et son mode de vie. Nauru est aujourd’hui un cauchemar, plateforme de tous les trafics imaginables, parce qu’il n’y a plus rien d’autre pour faire vivre ses habitants qui souffrent à la fois d’obésité et de malnutrition.
Et Bregman ne peut pas l’ignorer, parce que ce qui est arrivé à Nauru est l’archétype de ce qui se passe quand on applique des préceptes communistes tels que ceux qu’ils professe dans la fin de son livre.

Tout ça pour ça. Un bouquin de 400 pages, qui aborde son sujet un peu par tous les bouts, dans l’unique but de nous faire replonger la tête dans la bassine de purin qu’est l’idéologie communiste. « Le monde est mon copain, rions, dansons, baisons, sans nous préoccuper du lendemain ».
Ce bouquin est dangereux, parce qu’il fait croire à ses lecteurs que le monde est gentil. Ce n’est pas vrai. Bregman n’a jamais voyagé le soir dans un RER ou marché seul dans une rue de quartier dans une grande ville. Il n’a jamais confronté ses sentiments sirupeux à la réalité, lui qui se targue d’expliquer que son livre est bâti sur la Science, oubliant de préciser qu’en fait de « Science », il s’agit de sciences sociales, et que les sciences sociales sont une dialectique et un compromis qui fluctue selon les circonstance, comme et avec la pensée humaine (le racisme et l’eugénisme AUSSI étaient des sciences à leur époque…).

Humanité est de ce genre de bouquins qui prend son lecteur par la main avec bienveillance et l’emmène sur le chemin de l’Enfer pavé de bonnes intentions. Le « réalisme » dont il se prétend être issu est un idéalisme naïf, qui a coûté la vie et continue de coûter la vie de centaines, de milliers de personnes. En niant que notre nature est ambivalente selon les circonstances (et non « fondamentalement bonne »), Bregman rejoint ces cohortes de personnes qui un beau matin se retrouvent avec un couteau sous la gorge sans comprendre que leur prochain n’est pas et ne sera jamais leur « frère ». Il faudrait un bouquin complet pour démontrer (une fois de plus) les erreurs et les contresens de la thèse de Bregman, qui n’a rien d’original puisqu’elle date du 17e siècle.


C’est le problème avec ces gens: 3 siècles de contre-arguments et de contre-exemples ne changeront rien à leur adhésion à une idéologie mortifère. Ils sont dans leur monde, dans leur mentalité sectaire, et le jour où ils acquièrent suffisamment de pouvoir, commence l’épuration des gens qui ne pensent pas comme eux. Dans le cas de Bregman, on sait déjà qu’on nous alignera contre le mur au motif que nous sommes pessimistes, et que notre discours agit comme un nocebo sur le corps social, comme on pendait les « défaitistes » aux réverbères à la fin de la seconde guerre mondiale.

Le Maroc, entre Islam fondamentaliste et sorcellerie

De trop nombreux « islamologues » racontent tout et n’importe quoi sur la nature de l’Islam, et parlent les uns de religion, les autres d’idéologie. Et c’est ainsi que le mélange des genres débouche sur des articles où l’on mêle tout et son contraire, proclamant que l’Islam est une religion de paix, les autres que l’Islam est plural et qu’à ses débuts, il était permis de critiquer ses préceptes fondamentaux et même que l’Islam acceptait l’homosexualité. Ces articles sont rédigés par des gens qui ne connaissent visiblement ni l’histoire et les principes de l’Islam, ni l’histoire des peuples au sein desquels il s’est répandu.

Rapidement et succinctement, l’Islam peut être défini comme un projet de société politico-juridique fondé sur une révélation d’essence religieuse, servant à le transcender au-delà des affaires humaines, et donc à le protéger contre toute remise en cause. C’est, en quelque sorte, un contrat social sacralisé: d’une part, le musulman passe un « contrat » social avec la Umma (« communauté islamique »), qu’il rejoint comme un citoyen rejoindrait un pays et en adopterait la nationalité. D’autre part, le musulman passe un pacte avec Allah, envers lequel il se soumet pleinement et s’engage, en tant que croyant, à répandre la Parole incarnée dans le Coran.

L’Islam s’est répandu très rapidement dans sa première phase d’expansion, au cours du VIIe siècle, à la fois par la soumission par les armes (conquête) et par la soumission volontaire (conversion). Cette expansion s’est réalisée sur des espaces où l’autorité des Etats était en déliquescence, et s’est faite d’autant plus facilement que les dirigeants islamiques n’étaient pas fanatiques et laissaient une marge d’interprétation aux peuples qu’ils avaient convertis. C’est ainsi que localement, l’Islam absorbé un certain nombre de traditions « acceptables » dans le cadre islamique, et ce phénomène est de plus en plus marqué à mesure que l’on s’éloigne du cœur religieux constitué par La Mecque, Médine et Bagdad.

L’exemple que je cite le plus souvent est ce qu’on appelle « danse orientale », autrefois « danse du ventre ». Ce qu’on prend aujourd’hui pour un trait culturel issu de la tradition islamique n’a en fait rien à voir avec l’Islam, puisqu’il s’agit d’une survivance d’une pratique typiquement babylonienne, inspirée du mythe d’Ishtar aux Enfers. La Déesse Ishtar, après que son époux ait trouvé la mort, descend aux Enfers pour aller le délivrer. Sept portes se trouvent sur son chemin, et chaque fois, elle doit se défaire d’un de ses voiles pour passer sans encombre. Lorsqu’elle parvient devant Nergal et sa consort Ereshkigal, Ishtar est nue, et doublement impuissante: hors de son royaume, son pouvoir est tari, ce qui est symbolisé par sa nudité. Cet épisode est célèbre et attesté dès l’antiquité, où son origine est déjà plus ou moins oubliée. On le trouve évoqué dans le Nouveau Testament, à travers l’épisode de la danse de Salomé (Marc, 6:22). Au fil des siècles, cette danse rituelle a évolué, s’est transformée, voire ancrée localement par des variantes ou des pratiques spécifiques, et a ainsi survécu à l’oubli dans un espace géographique et idéologico-religieux pourtant hostile aux traditions pré-islamiques.

Les exemples de survivance de traditions « païennes » pourraient faire l’objet d’un livre entier, aussi ne les multiplierais-je pas outre mesure, d’autant que ce n’est pas l’objet de cet article. Il est néanmoins important de comprendre que sous le vernis prétendument islamique, se cachent des traditions qui n’ont rien à voir avec l’Islam et que celui-ci ne saurait être considéré comme un ensemble cohérent et uniforme. La suite de cet article ne saurait donc être interprétée comme une attaque contre l’Islam, et en particulier contre l’Islam malékite qui est dominant au Maroc.

Maghreb et sorcellerie

Si vous connaissez des maghrébins, peut être aurez-vous remarqué à quel point ils ont tendance à être superstitieux. Si pour nous, occidentaux, les questions de possession démoniaque, de sortilèges et de magie noire appartiennent à un passé obscurantiste et font l’objet de films de divertissement, ces questions sont tout à fait prises au sérieux au Maghreb (en fait, il n’y a guère que dans l’Occident moderne où ces questions sont prises à la rigolade et moquées de façon totalement crétine).

Ce qu’on qualifie avec un peu de mépris de « folklore » n’a pourtant rien d’une blague et constitue un élément du quotidien. Si l’existence de Jinns (ou esprits du feu) est ancrée dans le Coran, le Maghreb pré-islamique connaissait lui aussi l’existence de démons et autres esprits malfaisants. Les Jinns coraniques et les « mauvais esprits » du Maghreb antique se sont mêlés par correspondance (« syncrétisme ») pour donner la tradition maghrébine « ésotérique » que l’on peut parfois apercevoir.

La Main de Fatma, ou Khamsa en Tunisie, et Tafust en langues berbères.

L’exemple parfait de cette tradition ésotérique est le symbole que l’on connait sous le nom de « Main de Fatma », surtout connu en Occident sous la forme de pendentifs. Loin d’être de simples bijoux, il s’agit d’amulettes ayant la propriété de protéger leur porteur contre le « mauvais sort », c’est à dire les envoûtements, la sorcellerie et la malchance.

L’origine de ce symbole est à chercher du côté de l’antique Phénicie. Les phéniciens sont en effet les fondateurs de l’antique ville de Carthage (fondée par la princesse Elyssa, ou Didon, qu’Enée abandonnera pour se rendre en Italie, selon l’Enéide de Virgile), devenue Tunis après sa chute sous les coups des romains en 146 avant notre ère. La Phénicie se trouvait sur la côte orientale de la méditerranée, entre l’actuelle Syrie et l’actuel Israel. La Khamsa est liée à la déesse Tanit, que l’on peut plus ou moins identifier avec… Ishtar, la déesse babylonienne. Oui, le monde est assez petit quand on commence à gratter un peu la surface de l’ésotérisme, on retombe toujours sur la Mésopotamie, d’une manière ou d’une autre.

Femme berbère tatouée de façon traditionnelle. Les tatouages sont ici définitifs, mais la démarche est très similaire à celle du harqûs et a une fonction ésotérico-mystique, en plus d’une fonction sociale typique de la culture amazigh. Le tatouage sur le menton indique que cette femme est veuve, par exemple.

C’est le même principe avec le tatouage au henné, appelé harqûs au Maghreb (je simplifie énormément pour cet article déjà long, mais le sujet est bien mieux développé dans cet article). De nos jours simplement vu comme un art décoratif par les touristes occidentaux ignorants (et il faut aussi le dire, le tatouage au henné est souvent devenu une attraction commerciale juteuse), le harqûs est en réalité une pratique ésotérico-magique visant à protéger celui ou celle qui en porte les motifs contre les mauvais esprits et le mauvais sort. Loin d’être anecdotique, il s’agit d’une tradition millénaire, que l’on retrouve du Maroc au Bangladesh, et qui a une fonction de protection voire d’exorcisme. L’exorcisme dont il est question ici n’est pas ce rituel catholique visant à extirper un démon d’un possédé en lui appliquant une croix sur le front, mais une pratique à mi-chemin entre la médecine et le désenvoûtement. Là encore il faut faire appel à la Mésopotamie pour comprendre: la maladie, les douleurs et autres afflictions étaient interprétées comme étant le fait d’un esprit mauvais ayant pénétré le corps. L’utilisation de plantes, de fumigations, de cataplasmes et décoctions, aux côtés de formules rituelles, permettait de chasser le démon, et de faire guérir le corps et l’esprit. D’une certaine façon, il s’agissait de rites que l’on appellerait aujourd’hui « shamaniques ». Ainsi, le marquage au henné s’interprète comme étant l’apposition d’une marque symbolique valant « amulette » pour chasser le mal et s’en protéger.

Le Maroc, épicentre religieux et de magie noire

C’est ce contexte largement méconnu en Europe que survient le Maroc, comme énoncé dans le titre de cet article. Pays à la fois ancré dans une forme d’islamisme avec l’application partielle de la Sharia et des mosquées grandioses, mais aussi perpétuant des valeurs traditionnelles en principe réprouvées par l’Islam, le Maroc est un pays que les occidentaux croient connaître à travers ses aspects touristiques alors qu’ils ne voient que très rarement l’envers du décor, beaucoup moins apte à se trouver sur des cartes postales.

L’illétrisme et la misère y sont chose commune, malgré l’action gouvernementale pour tenter d’améliorer la situation des plus pauvres, du moins officiellement. Car les régions pauvres sont également celles qui produisent le cannabis qui est trafiqué en Europe par centaines de tonnes chaque année, générant entre 25 et 50% du PIB du pays, entre la valeur brute de la drogue exportée vers l’Espagne, la France, l’Italie, l’Allemagne et le Royaume Uni, et l’argent qui est issu de ce commerce et qui est réinjecté dans le pays dans les infrastructures (touristiques notamment, mais pas seulement), par le biais de ces agents de change clandestins appelés « sarafs ». Le pays est ainsi un territoire d’extrêmes, où les inégalités sociales sont absolument ahurissantes. Ce sont ces inégalités sociales extrêmes qui permettent aujourd’hui à certains de mettre en place de tentaculaires réseaux de trafics d’êtres humains… et pire encore.

Settat, au sud de Casablanca

Il y a quelques jours en effet, une affaire d’enlèvement et séquestration a une nouvelle fois agité l’actualité. D’après le site bladi.net, une adolescente a ainsi été retrouvée dans le cimetière de la ville de Settat, dans un état grave. Elle aurait subi des sévices incluant des tatouages et des saignées, de la part d’au moins trois hommes. Son sang devrait servir dans le cadre de rites de magie noire.

Aussi douteuse que cette information puisse paraître, elle rappelle pourtant une autre affaire qui avait fait beaucoup de bruit à l’époque, y compris en Europe. En 2018, la jeune Khadija Okkarou alors âgée de 17 ans, a été victime d’un enlèvement avec séquestration, de viols collectifs et de tortures. Ce sont pas moins de douze hommes qui ont été identifiés dans cette affaire, que l’on nous a présenté à l’époque comme une « banale » affaire de mœurs dans un pays où la place de la femme est encore largement dévalorisée en accord avec les principes de la Sharia (par exemple, jusqu’à récemment, un violeur pouvait échapper à la prison si il épousait sa victime, forme de mariage forcé parfaitement en accord avec la Sharia; cette pratique juridique a été abandonnée suite à des affaires de suicide particulièrement marquantes au Maroc).

L’affaire Khadija sort pourtant de l’ordinaire sordide de l’exploitation sexuelle et du trafic d’êtres humains, car ses tortionnaires ont pratiqué des rites de sorcellerie en se servant d’elle comme support pour leur magie. Khadija a été tatouée de nombreux symboles ésotérico-magiques, les sévices qu’elle a subis (brûlures de cigarettes etc) servant à augmenter la puissance magique des rites accomplis par ses ravisseurs.

Certains des tatouages imposés à la jeune femme. On aperçoit des brûlures de cigarette à la jonction du pouce et de l’index.

L’affaire a été traitée à la légère par les médias tant marocains qu’étrangers, qui se sont focalisés sur les viols plutôt que sur le fond réel de l’affaire: la sorcellerie. Les viols n’étaient en effet qu’une sorte de « bonus » pour ses ravisseurs, dont les motivations réelles étaient d’ordre ésotérique. Plus exactement, la « magie » devait les aider à devenir riches. J’y reviendrais dans la suite de cet article. L’affaire Khadija a été considérée avec un fort mépris, parce qu’elle s’était produite dans une zone rurale, largement défavorisée, et où la population n’est guère éduquée. Ainsi, ces douze hommes auraient commis ce crime par bêtise et ignorance, plutôt que par une réelle malveillance. Leur procès néanmoins traduit un malaise certain au sein de la société marocaine: alors qu’il aurait dû s’achever en juillet 2019, les juges n’ont eu de cesse de repousser leur jugement. A l’heure où j’écris ces lignes, le procès est toujours en suspens, au grand désespoir de la victime et de ses parents.

Mais pourquoi un tel malaise? S’agit-il d’une certaine honte dans un pays islamique qui revendique sa modernité, ou de quelque chose de plus profond?

Le sacrifice d’enfants au Maroc: une réalité occultée?

L’affaire Khadija, pour sordide qu’elle soit, se termine relativement bien: l’adolescente a survécu, bien que marquée dans sa chair et son âme, et ses tortionnaires identifiés et arrêtés. Ce n’est pas le cas de la majorité des enfants et adolescents qui disparaissent chaque année au Maroc. Les chiffres exacts sont impossibles à connaître: entre les naissances non-déclarées, les dizaines de milliers d’enfants pauvres mis à la rue par leurs parents et les trafics d’êtres humains, il existe une zone grise où il est facile avec un peu d’argent de se procurer de petites victimes pour les divers trafics d’êtres humains, qu’il s’agisse d’exploitation sexuelle, de migration forcée ou de vente de bébés. Si une partie de ces enfants parvient à échapper à ses bourreaux, une autre disparaît sans laisser aucune trace de son existence même…

Et parmi ceux-là, une fraction serait sacrifiée dans le cadre de pratiques ésotérico-magiques. L’affaire Khadija et l’affaire récente de cette adolescente encore sans nom montrent que des individus sont prêts à recourir à des pratiques « magiques » sur des adolescentes qu’ils ont préalablement enlevées. Ces deux affaires surviennent à un moment où les enlèvements d’enfants semblent se multiplier, en tout cas se remarquer un peu plus. Mais il est difficile de faire la part des choses entre les affaires classiques de pédophilie et de trafic d’êtres humains, et des affaires plus occultes.

Il est cependant certain qu’il y a de nombreuses rumeurs et parfois des témoignages à propos d’un phénomène intrinsèquement occulte, les enfants « zouhris » (mes excuses d’avance pour l’orthographe, on trouve des tonnes de graphies et j’ai choisi la plus simple). Selon le folklore marocain, ces enfants seraient des « hybrides » entre humains et Jinns, soit que les Jinns auraient volé un enfant pour le remplacer par le leur, soit que les parents n’auraient pas prononcé la prière avant la conception de leur enfant, etc, etc. Ces enfants porteraient des signes distinctifs, qui semblent varier selon les régions. Celui qui revient le plus souvent est lié aux lignes des mains, soit qu’elles seraient continues, soit qu’elles seraient symétriques dans les deux mains. D’autres histoires se rapportent à la couleur des yeux, à des marques dans les cheveux, ou à des grains de beauté à certains emplacements. Leur trait commun est que l’enfant zouhri permettrait, par le biais de rituels visant à récupérer leur sang, de retrouver des trésors enfouis.

On trouve des tonnes de récits sur internet, où leurs auteurs racontent comment ils ont échappé à des tentatives d’enlèvements parce que présumés zouhris, ou de maghrébins européens confrontés à ce folklore avec leurs propres enfants lorsque allant en vacances au Maroc. S’ils sont évidemment invérifiables et doivent donc être considérés avec précaution, les deux affaires bien réelles et attestées que j’ai rapporté dans cet article donnent une réelle épaisseur à ces témoignages. Et cela fait froid dans le dos, surtout quand on sait que ce genre de crime rituel a lieu de manière indéniable et certaine dans d’autres parties d’Afrique, notamment « les enfants sorciers » au Nigéria ou les albinos dans toute l’Afrique sub-saharienne

Impossible, pourtant, de trouver aujourd’hui le moindre article fiable sur internet, sur le phénomène des crimes rituels au Maroc, malgré les dizaines de témoignages relatifs au folklore entourant les enfants zouhris, voire de personnes affirmant avoir échappé à un enlèvement quand elles étaient enfants. A l’exception de l’affaire Khadija, je n’ai pu trouver qu’une seule autre affaire assimilable à des crimes rituels au Maroc, et c’est une affaire rapportée par Bladi.net, qui n’a pas forcément les mêmes standards que des journaux institutionnels.

Alors qu’en penser? D’un côté, on peut imaginer que ces histoires sont avant tout du folklore, une sorte de légende urbaine dont tout le monde se convaincrait de la réalité, et qui prospèrerait sur le souffre d’affaires d’enlèvements et d’exploitation infantile bien réelles. De l’autre, on peut imaginer qu’à l’ère d’internet où il est si facile d’exclure des résultats spécifiques des moteurs de recherche, il le serait tout autant d’effacer des registres des affaires rapportées dans les médias, pour des raisons d’ordre public. C’est en fait le cas avec de nombreux articles, comme j’ai pu le constater récemment quand Moqtada al-Sadr a refait surface dans les médias occidentaux, auréolé de respectabilité, alors qu’il était considéré comme un danger d’ordre international au même titre que Ben Laden ou Al- Zarqawi, parce qu’il dirigeait l’Armée du Mahdi, une organisation terroriste qui a semé la terreur pendant la guerre civile en Irak après l’invasion du pays par les américains en 2003. Si on peut réarranger le passé sur ce sujet, pourquoi pas sur un sujet tel que celui-ci, qui n’est pas sans rappeler les histoires de crimes rituels sensément commis par les juifs en Europe?

Quelle que soit la vérité, une chose est certaine: la magie, l’occultisme, la sorcellerie, l’ésotérisme, ou quel que soit le nom qu’on donne à ces pratiques, est une chose sérieuse et réelle au Maghreb, pouvant déboucher malheureusement sur des crimes abominables. Les récits et témoignages et la persistance au fil des ans de ces rumeurs de crimes rituels laissent entrevoir un envers du décor beaucoup plus sombre que ne le laissent présager les images idylliques de carte postale que l’on perçoit généralement du Maghreb.

Méthodes quantitatives vs. méthodes qualitatives…

…ou « pourquoi bâtir un raisonnement économique ou politique sur des statistiques est complètement con ».

Comme tous les mois, on nous parle de la « hausse baissière à reculons inversés » du chômage en France. Comme TOUS les mois, on vient mettre en évidence le décalage entre les chiffres Pôle Emploi (basé sur le nombre d’inscrits dans ses services, répartis en catégories) et les chiffres de l’INSEE, basés sur des « enquêtes » statistiques, établies à partir de sondages sur « panel représentatif de la population en France ».


Dans le premier cas, on a une méthode qualitative, tirée d’une donnée brute fiable, dans le deuxième, on a une méthode quantitative d’extrapolation avec des équations et des variables qu’on dose un peu comme on veut.

Vous le savez si vous suivez ces pages régulièrement mais je vais le répéter, j’ai claqué la porte de mon doctorat à Turin entre autres raisons parce que le conseil scientifique du programme voulait m’imposer de faire des études quantitatives, ce que je refuse pour des raisons éthiques (intégrité scientifique). Rien n’est plus simple que de manipuler des statistiques et des ensembles de données brutes, et de les trafiquer pour aller dans un sens ou dans un autre selon le vent du moment. J’ai même été formé pour le faire: on appelle ça une « correction de données » ou une « correction de modèle », et ça consiste à exclure des données de l’ensemble qu’on analyse « parce qu’elles ne sont pas cohérentes avec les observations », ou à introduire des variables dans le modèle pour tordre les résultats dans un sens qui correspond mieux « aux observations » (en réalité, aux préjugés du modélisateur). La plupart des corrections (certaines sont légitimes, tout de même) ne sont pas décrites dans les articles et les études, ce qui permet de faire croire qu’elles collent au réel. C’est beaucoup plus compliqué avec une démarche qualitative, parce que là, on explique tout de A à Z, et on ne peut pas tordre les données sans que ça ne se détecte tout de suite.

Ce traficotage statistique n’a pas lieu qu’à l’INSEE (même si ils sont champions pour ça), mais à tous les niveaux politico-économiques de l’Etat, depuis le service municipal ultra-rural à la présidence de la République. Or, c’est avec ce genre de saloperie que sont élaborées des réformes comme celle des retraites ou celles sur la santé/hôpital, et plus généralement, TOUTES les lois en France.
Notre Etat français, comme toutes les socio-démocraties occidentales, est un vaste marais de pus vérolé et envahi de parasites porteurs de tous les maux qui nous frappe en tant que Peuple.

Il est temps d’assainir tout ça, et de rebâtir une communauté française forte, assise sur une identité claire, appuyée sur des valeurs d’honneur, de droiture, d’honnêteté et de transparence.

BONUS

Un cas concret: dans le cadre de mon programme doctoral, j’ai travaillé sur une analyse quantitative de la réforme des retraites Monti-Fornero de 2011 en Italie. L’idée était de vérifier si la réforme, dont l’objet était de repousser l’âge de départ en retraite et in fine d’économiser de l’argent public, avait produit des effets. L’étude portait sur un ensemble de données recueillies comme l’INSEE, par enquête auprès d’un panel de 20 000 personnes environ. En gros, l’exercice consistait à prendre les gens de ce panel étant partis à la retraite avant la loi, de regarder l’âge moyen qu’ils avaient à l’époque, puis de comparer avec les gens qui sont partis à la retraite après l’entrée en vigueur de la loi, et de regarder quel âge ils avaient à ce moment là.

Premier problème: l’enquête ne concernait pas les retraites, mais la situation socio-professionnelle au sens large des répondants. Pour des raisons de coûts, les enquêtes portent généralement sur plusieurs sujets à la fois, et non un seul. C’est ainsi que sur 20 000 « échantillons » (nom donné à une personne interrogée), il n’y en a en réalité qu’une petite partie qui est pertinente pour une analyse portant sur les retraites. Dans le cas présent, l’ensemble de donnée s’est réduit à 1700 échantillons, sur 20 000 au départ. Avec d’importantes disparités régionales (la situation n’est pas la même dans le nord industriel de l’Italie, et le sud rural, agricole), d’importantes disparités relatives aux carrières (fonctionnaires, ouvriers, professions libérales…) et même au regard du sexe ou de la situation maritale. Or, ces données sont extrêmement importantes quand on prétend analyser l’impact d’une loi sur une population… et dans le cas présent, sur un panel représentatif au départ, une fois le tri effectué, il n’y a absolument plus aucune représentativité.

Cette loi avait été présentée avec l’attirail habituel de promesses et de graphiques colorés. Elle était sensée résoudre tous les problèmes: corriger le déficit des caisses de retraites, protéger les veuves, soutenir les femmes célibataires, profiter aux personnes ayant eu une carrière d’emplois précaires ou à temps partiel, tout en étant « plus juste » avec les travailleurs pauvres. Elle a été une catastrophe pour tout le monde en Italie, à quelques exceptions près (les cadres, les professions libérales type médecins ou avocats… et encore), et est l’une des raisons pour lesquelles le M5S et la Liga ont pu s’entendre pour former un gouvernement en 2018. Dans l’analyse que j’avais faite à partir des données gouvernementales, il n’y avait que peu d’impact pour les travailleurs des classes ouvrières et pas ou peu qualifiées, et les plus affectés étaient au contraire les personnes diplômées, ce qui était parfaitement en accord avec le discours de « justice » du gouvernement italien.

Comment expliquer un tel décalage entre l’analyse et la réalité? Avec une analyse qualitative. L’astuce, c’était que les statistiques portaient non pas sur le rallongement de carrière, mais sur l’âge de départ en retraite. Et le diable est dans les détails: les classes ouvrières entrent plus tôt dans la vie active (généralement entre 16 et 20 ans) comparativement aux fonctionnaires et autres diplômés (entre 20 et 25 ans). Or, depuis la fin des années 1960 et surtout le début des années 1970, la population italienne, tout comme la population française, s’est détournée des métiers ouvriers et s’est mise à faire des études, entrant de ce fait plus tardivement sur le marché du travail. L’infléchissement a même une date de « naissance »: 1968, qui a été une année capitale dans toute l’Europe occidentale et pas seulement en France.

La jeunesse de l’époque post-68 tendait à se détourner des voies manuelles (équivalent CAP/BEP) et de l’apprentissage, pour faire un équivalent bac (bac pro ou bac général) voire un diplôme équivalent DEUG (bac +2; il faut rappeler aux plus jeunes que la réforme Licence+Master+Doctorat ou LMD date de 2004). Un rallongement d’études d’environ deux ans, décalant d’autant l’entrée dans la vie active… Et c’est ainsi qu’une quarantaine d’années plus tard, une loi réformant les retraites donne l’illusion d’avoir effectivement décalé l’âge de départ en retraite d’environ deux ans, tout en camouflant dans les chiffres son impact économique dramatique pour les plus pauvres et les plus précaires… et tous les autres. Car dans les faits, comme en France, la réforme portait moins sur l’âge de départ en retraite que sur le montant des pensions, dépendant de la durée de cotisation (42, puis 43 puis 44 ans): une personne qui avait cotisé la durée légale mais n’avait pas l’âge de départ en retraite devait rester au travail sous peine de voir les montants de sa pension réduits. Et inversement, une personne qui avait l’âge de départ en retraite mais n’aurait pas cotisé la durée prévue avait elle aussi une pension de retraite totalement ridicule.

L’ensemble de la population la plus âgée était donc affecté très négativement sur le plan économique (et c’était encore pire pour les populations déjà précarisées), ce qui ne ressortait absolument pas des statistiques du gouvernement italien, qui au contraire avait présenté un impact financier positif, à partir de ses modèles quantitatifs, alors qu’une analyse qualitative portant sur les données disponibles auprès des caisses de retraite aurait montré la catastrophe et aurait permis de mettre en place un système alternatif beaucoup plus adapté. C’était ce qu’avaient proposé la Liga de Matteo Salvini et le Movimente 5 Stelle de Luigi di Maio, avec le « Quota 100 », un système très simple: lorsqu’une personne atteint « 100 » en cumulant son âge et le nombre d’année de cotisation pour la retraite, elle peut prétendre à partir à la retraite (une personne de 58 ans ayant cotisé 42 ans peut donc y prétendre, une personne de 65 ans ayant cotisé 34 ans devra attendre un an de plus). Il y a évidemment une indexation sur la durée et les montants de cotisation et d’autres ajustements, mais il y a surtout une pension de base indexée sur le coût de la vie permettant à quelqu’un ayant travaillé toute sa vie de ne jamais tomber sous le seuil de pauvreté…

Les données socio-économiques ne sont pas encore suffisantes pour juger de la pertinence de ce système, néanmoins les premiers indicateurs sont tout à fait positifs, au grand dam des financiers qui avaient prédit une catastrophe, avec leurs modèles quantitatifs trafiqués…

Comment Lutter efficacement contre l’idéologie islamique, par Chahdortt Djavann

L’immense déception du « match du millenium » entre Fillon et Zineb m’a amené à chercher d’autres auteurs, d’autres ouvrages sur le sujet de la lutte contre l’islamisme. On peut critiquer Amazon sur beaucoup de choses, mais il en est une qui est une bénédiction: les suggestions. C’est grâce à elles que je suis tombé sur cet essai de Chahdortt Djavann, romancière et essayiste française d’origine iranienne. Avec 200 pages sur la balance, on n’est clairement pas dans la même catégorie que le pastiche d’essai de Zineb.

Paru chez Grasset à l’automne 2016 et réédité en 2018 au livre de poche, il a été rédigé dans les mêmes conditions que les deux autres, suite aux mêmes événements, les attentats de Paris du 13 novembre 2015.

Contrairement aux deux autres, en revanche, Djavann sait de quoi elle parle, et pour cause: elle a subi le régime des Mollahs, et de plein fouet. Née en 1967 dans l’Iran du Chah, elle a 12 ans quand survient la Révolution Islamique. A 13 ans, elle est tabassée par les Gardiens de la Révolution parce qu’elle participait à une manifestation contre le régime islamique, et s’en tire avec deux côtes cassées, et trois semaines de détention. Deux de ses amies sont tuées. Elle finit par devoir quitter le pays, en 1989, se réfugie en Turquie, avant d’arriver en France en 1993, vivant dans un véritable dénuement, sa famille ayant tout perdu. Autant dire que d’emblée, ses affinités avec les islamistes ne sont pas marquées du sceau de l’amitié…

Et cela s’illustre rapidement, car elle rédige en 2003 un réquisitoire contre le voile islamique, « Bas les voiles!« . Ses arguments, basés sur sa propre expérience, l’amènent à témoigner en 2003 devant la commission Stasi sur le voile à l’école. En 2004, elle signe un nouvel essai intitulé « Que pense Allah de l’Europe?« , exposant les stratégies islamistes d’infiltration politique des institutions françaises et plus généralement européennes. Si elle s’oriente par la suite vers une carrière de romancière, elle reprend la plume pour rédiger cet essai contre l’Islamisme en 2016.

Ok, mais qu’est-ce que ça vaut?

Dès les premières pages, on comprend qu’on tient un bouquin sérieux dans sa démarche et honnête quant à ses objectifs et dans son rapport à son sujet. Sa plume est claire et sincère, et au bout d’à peine cinq pages de l’introduction, j’ai saisi pourquoi j’étais sorti de l’essai de Zineb avec un sentiment de malaise: Chahdortt n’essaie pas de lutter contre les islamistes avec l’Islam, elle les combat avec les principes de laïcité, de démocratie, et plus généralement, avec ce qui a constitué le socle de notre société depuis deux siècles. De fait, elle ne cite jamais le Coran, ni n’essaie pas de nous parler du Prophète sous couvert de critique. Elle ne prétend pas réformer une religion, mais combattre une idéologie politique. Et nom de Dieu, ça fait du bien de voir enfin un essai nous lâcher la grappe avec ces histoires. La lutte contre l’islamisme n’est pas une affaire d’exégèse du Coran, n’est pas une histoire d’islamologues, et ça, Chahdortt Djavann nous le rappelle très efficacement. Pas besoin d’un hypothétique et chimérique « Islam des Lumières », les Lois de la République suffisent.

Elle ne se permet qu’une seule incursion dans le domaine religieux, lorsqu’elle rappelle les cinq piliers de l’Islam (p.44). Elle rappelle ainsi que contrairement aux discours des islamologues, il n’y a pas besoin de suivre tout un tas de prescriptions du type voile ou hallal pour être un « bon musulman », puisque ces cinq piliers suffisent: la profession de foi (la Shahada), qui marque l’entrée dans la foi islamique, la prière (cinq fois par jour pour les sunnites, trois pour les chiites), l’aumône (la Zakât), le jeûne pendant le mois du Ramadan, si l’état de santé le permet, et le pélerinage à La Mecque (le Hajj) au moins une fois dans sa vie, si les moyens financiers le permettent. C’est tout. Pas de hallal, pas de voile, pas de prosélytisme, pas de morale islamique, pas de sharia, pas d’interdiction de l’alcool, pas d’histoire de quoi que ce soit d’autre et certainement pas de Jihad, c’est à dire rien de ces prescriptions idéologiques de l’idéologie islamique qu’elle expose quelques pages plus loin (p.50).

La suite de son essai s’attèle à déconstruire la méthodologie islamiste, et n’hésite pas à dénoncer des « sociologues » comme Khosrokhavar (p.57) et Olivier Roy (p.111), des universitaires et autres intellectuels, comme Fariba Abdelkah, Azadeh Kian ou Nahal Tajadod (p.113) ou encore Marjane Satrapi (p.114-118), dont Persépolis tient plus du manifeste pro-islamiste que de la critique du régime iranien (critique de toute façon contrôlée par ce régime, pour se donner des airs démocratiques et signer des contrats commerciaux avec les puissances étrangères). Elle n’épargne pas le monde politique non plus, et n’hésite pas à s’en prendre à Hollande et son discours si marqué par les islamologues, ni à Obama (p.131-136), dont la politique d’ouverture envers l’Iran a été selon elle une véritable catastrophe internationale.

Loin du politiquement correct, une invention de répression politique des opinions publique qui a tant servi l’idéologie islamiste, Chadhortt Djavann explique que les jeunes séduits par l’islamisme et le jihadisme ne le sont pas, comme on le lit trop souvent, pour des raisons socio-économiques. Les « jeunes de banlieue » ne sont pas plus défavorisés ni plus abandonnés que les jeunes ruraux, qui eux pourtant ne cèdent pas à la violence ni à un extrémisme politique virulent. Si ils cèdent aux sirènes du jihadisme, c’est parce que le discours islamiste est partout, parce qu’on laisse les islamistes les prendre en main. Pire, on le leur a demandé. Et là, je ne peux qu’être d’accord avec Djavann: après les émeutes de 2005, je me souviens très bien avoir vu un reportage au journal de TF1 (à l’époque, il n’y avait pas BFMTV, il faut s’en rappeler) faisant la promotion des islamistes du mouvement Tabligh qui allaient à la rencontre des jeunes « désoeuvrés » en bas des immeubles pour les inciter à s’impliquer dans la religion. Un concept de pacification qui rappelle celui des « grands frères » des années 1990, largement approuvé par le Gouvernement et Sarkozy en tête, avec son idée de vouloir créer un « Islam de France » par le biais du CFCM, dans les faits création purement estampillée « Frères Musulmans ».

Djavann Chahdortt insiste également sur le fait que les enfants d’immigrés musulmans sont souvent forcés dans leur « foi » par la pression de leurs familles, amis voire simples étrangers, parfois violente (de plus en plus violente, pourrait-on dire, au vu de l’actualité quotidienne…). L’anecdote qu’elle raconte sur ses années d’étudiante parisienne, où elle fréquente le restaurant universitaire et réclame une côte de porc pour se voir dire par la serveuse, musulmane, « c’est du porc! » puis « tu manges du porc, toi? T’es pas musulmane? », date de 1997. De nos jours, où la question du porc à la cantine est devenue un véritable débat de société, on mesure à quel point la pénétration de l’islamisme dans notre société en est arrivée à un point inimaginable il n’y a que 30 ans.

La fin de son ouvrage apporte des éléments de réponse (si on ne les avait pas déjà compris au cours de la lecture de son essai) à la question posée par son titre. L’un de ses points principaux est qu’il n’existe pas un « Islam de France », comme certains le promeuvent sans arrêt. Il y a l’Islam, point. Et cet Islam, en Occident comme ailleurs, est gangréné par l’idéologie islamiste. Pour lutter contre elle, il faut d’abord contrer ses prétentions « identitaires »: voile dans l’espace public (et donc à l’école et dans les universités), exceptions alimentaires dans les cantines et restaurants, et en un mot comme en cent, protéger farouchement la laïcité, qui est une neutralité et non une coexistence de religions. Elle propose ensuite l’instauration d’un service civique obligatoire, pour les hommes comme pour les femmes, pour restaurer le sentiment d’appartenance à la communauté française, et non pas à une communauté non républicaine. Elle propose également, dans le même esprit, l’instauration d’un uniforme scolaire (sans voile!), et le réapprentissage de la Marseillaise à l’école. Elle s’avance également sur la question de la déchéance de nationalité, s’y montrant largement favorable. Plus généralement, c’est la question du choix de l’immigration et de l’imposition d’un « pacte social » avec l’immigré, qu’elle défend. Enfin, elle propose de former non pas des imams, mais des éducateurs laïcs, pour canaliser la jeunesse dans le sens républicain plutôt que dans le sens islamique, voire islamiste. Elle défend l’idée que le Peuple français a son mot à dire, et propose des consultations populaires sur les sujets les plus importants, par exemple la limitation des droits et allocations aux étrangers. Un sujet qu’elle n’aborde pas à la légère, ayant été elle-même immigrée ne parlant pas la langue française à son arrivée…

Mon analyse et avis

Difficile de dire que Chahdortt Djavann a écrit un essai à côté de la plaque ou totalement vide. C’est loin d’être le cas, et je ressors de ma lecture avec la sensation d’avoir ENFIN lu quelque chose d’à la fois sans ambiguïté et fondamentalement anti-islamiste, et surtout sincère et pertinent. Ce qu’elle écrit est juste, à tous les niveaux, et s’appuie totalement sur ce que notre société française a en elle, plutôt que d’aller chercher des réponses dans une sorte de contre-islamisme fondé sur le Coran. Avec Chadhortt Djavann, pas de sentiment d’avoir lu un pamphlet d’une faction islamiste dirigé contre une autre faction rivale. Et franchement, ça fait du bien.

Le seul petit reproche que je peux faire à cet essai est sa propension à réduire l’islamisme à l’Iran, qui serait selon elle la source de tous les problèmes liés à l’Islam dans le monde. Une analyse que je suis loin de partager, même si il est clair que l’Iran n’est pas innocent du tout dans la diffusion et la généralisation du discours idéologique islamiste à travers le monde. A lire Djavann, l’islamisme n’existait pas avant la Révolution Islamique de 1979. Or, c’est inexact. Les Frères Musulmans ont été fondés à la fin du 19e siècle, officiellement dans les années 1920. Le Talbigh a été fondé dans ce qui était l’Inde, puis est devenu le Pakistan Oriental puis le Bangladesh, en 1927. La construction de l’Arabie Saoudite telle qu’on la connait aujourd’hui, sous le règne de la famille al-Saoud, s’étend entre 1902 et 1932, et principalement dans les années 1920.

Pourquoi les années 1920 semblent-elles marquer autant l’histoire de l’Islamisme moderne? Tout simplement à cause de la chute du Califat Ottoman, qui s’est effondré définitivement en 1923. La place laissée vacante a été simplement occupée par d’autres. Le Califat Ottoman était le dernier avatar de l’islamisme « ancien », celui qui utilisait la conquête militaire pour répandre la foi musulmane (notamment dans les Balkans et dans le Caucase, dont l’instabilité aujourd’hui est totalement liée à l’époque de la domination ottomane). Avec sa disparition, c’est l’Islam politique qui prend le relais. Face à des puissances militaires invincibles comme l’Empire anglais, l’Empire français, les Etats-Unis naissants ou encore l’URSS lui aussi balbutiant, il fallait recourir à la ruse plutôt qu’à la force, une leçon très tôt apprise.

La Révolution islamique de 1979, intervenue 50 ans plus tard, me semble être plutôt le résultat plutôt que le point de départ, la confirmation que les méthodes de l’Islam politique pour instaurer un régime islamiste fonctionnent, et permettent de séduire les élites des pays occidentaux, sans l’appui desquels la Révolution Islamique de Khomeini n’aurait jamais pu réussir. Si elle a été un point de départ, c’est pour le lancement des projets de conquête insidieuse de l’Europe, mais c’est un problème mondial, et pas seulement occidental.

Dans l’ensemble néanmoins, Djavann a raison sur beaucoup de point. Je ne suis pas sûr que réintroduire l’uniforme et la marseillaise soient si importants dans la lutte contre l’Islamisme, mais une immigration choisie (sur le modèle québécois) et l’instauration d’un contrat social avec des obligations strictes pour les immigrés sous peine de non-renouvellement de l’autorisation de séjour sont la base qu’il aurait fallu instaurer il y a déjà 25 ans. La déchéance de nationalité pour les tenants de l’islamisme et de son avatar violent, le jihadisme, sont tout aussi nécessaires à notre époque où les enfants d’immigrés sont français mais rêvent d’instaurer un régime islamique en France. Comme Djavann le dit si bien, il y a 40 Etats islamiques dans le monde, mais il n’y a qu’une seule France. Si quelqu’un ne s’y plaît pas, libre à lui de partir et de faire le chemin inverse de celui qu’elle-même a fait. Enfin, l’interdiction du voile islamique en dehors du cadre privé et du cadre religieux (mosquée et célébrations spécifiques), c’est à dire dans l’espace public, aussi bien à l’école qu’à l’université, dans la rue ou dans l’administation publique, se justifie largement par son utilisation par les islamistes comme base de toute leur idéologie. Ce n’est PAS un vêtement religieux, c’est un vêtement politique, idéologique. On interdit le port de signes et uniformes national-socialistes, il n’y a aucune raison pour laquelle on ne bannirait pas le voile.

Je doute, enfin, de la capacité de notre démocratie à débattre et porter des décisions anti-islamistes. L’élection de Macron constitue à cet égard la meilleure démonstration que la démocratie est en panne en France, que ce soit dans la crise des gilets jaunes ou autre. Jamais dans l’histoire un gouvernement n’avait autant inclus d’islamistes assumés comme tels, de personnalités anti-France voire anti-français, ni de collaborationnistes pro-Islam. Macron est l’illustration absolue des défaillances de notre démocratie, qui se borne à faire barrage à une extrême droite qui n’a d’extrême que son relativisme et sa propension à toutes les compromissions, quitte à sacrifier l’identité française sur l’autel de l’Europe et de l’identité communautariste. Notre pays, sur la question de la lutte contre l’Islamisme comme sur tous les autres sujets, a besoin d’un anti-Macron, d’un Président fort, antithèse de ce que représente notre pathétique locataire de l’Elysée actuel. Le type de politique qui malheureusement ne viendra pas du monde politique actuel… mais c’est un autre problème, et une autre histoire.

Conclusion:

Un très bon livre, même si il se concentre un peu trop sur l’Iran (rappelons que son auteure est née en Iran, ce qui explique certainement cela). Un vrai diagnostic, une vraie dénonciation, avec des noms, des dates, des circonstances, et surtout, de vraies propositions, peut être un peu idéalistes ou tardives, mais néanmoins nécessaires. Surtout, un bouquin qui ne donne pas l’impression de faire la promotion d’un « autre Islam », c’est à dire fait la promotion d’un islamisme alternatif. Djavann reste fidèle à ce qui a fait de la France ce qu’elle est, avec une laïcité farouchement anti-cléricale dans la sphère politique.

Si vous ne deviez lire qu’un seul ouvrage sur le sujet de la lutte contre l’Islamisme, c’est celui-ci, même si il date d’un temps avant Trump et avant Macron. A bien des égards, ses préconisations ne suffisent déjà plus, même si elles n’en restent pas moins nécessaires.