Incompréhension, manipulation et propagande: le journalisme, le ministère et l’industrie de la viande

Vu sur France24: « Les Français ont consommé un peu plus de viande en 2016 ». Un titre absurde, un contenu mal compris, des explications à côté de la plaque.
La consommation de viande par les « ménages » a régressé en France, de façon indéniable. Seule la consommation de volaille a augmenté (+4%), grâce à des prix d’appel plus en rapport avec le pouvoir d’achat. La consommation de viandes ovines, bovines et porcine régresse nettement, de même que les viandes chevalines (quasi disparues au niveau national avec un peu plus de 15000 chevaux et poneys abattus pour leur viande) a reculé de façon très nette: 1% sur des produits consommé par millions de tonnes ça fait beaucoup d’animaux…
Malgré ça, on nous parle d’une augmentation de la consommation (globale) de bidoche en France en gros titre. Désinformation flagrante, donc.
En France, pour 66 millions de français (dont 20 millions de mineurs de moins de 18 ans) on produit et tue 1 MILLIARD de volailles (poulets, canards, oies…), quasiment 5 millions de bovins (vaches, boeufs et veaux), 23 millions de porcs et 6 millions d’ovins (moutons, agneaux…) par an (source: https://www.viande.info/viande-lait-oeuf… chiffres 2014).
Et pourtant, on importe encore de la viande (origine européenne, c’est à dire irlandaise ou espagnole, mais aussi argentine, néo-zélandaise, australienne, brésilienne, américaine…), « moins chère » que les produits français, qui eux reçoivent des subventions à l’exportation.
On marche totalement sur la tête. D’un côté, on paie des producteurs étrangers pour qu’ils exportent chez nous à pas cher des produits carnés dont les normes sanitaires sont très en deçà des nôtres, et de l’autre côté, on paie (grassement) nos producteurs pour qu’ils exportent leur viande dont les standards de qualité élevés expliquent en partie les prix vers des pays dont les standards sont moins élevés.
Résultat: on surproduit, à des niveaux dramatiques, on développe encore des exploitations rassemblant des milliers d’animaux (voire des millions de volailles), que notre territoire n’est pas capable d’absorber, à destination des marchés étrangers qui se contrefoutent royalement de la qualité des produits français, et qu’on subventionne par milliards d’euros pour rien, puisque personne n’achète notre viande, ce qui provoque la crise agricole actuelle. Au gaspillage financier s’ajoute le gaspillage de nourriture (et de vies animales), beaucoup plus dramatique.
Regardez bien l’article que j’ai posté en lien: aucun tonnage, aucun décompte d’animaux n’est donné, on ne parle que de pourcentages, pour soigneusement éviter de parler de choses beaucoup plus explicites comme je viens de le faire. Pourquoi?
J’imagine qu’expliquer à nos éleveurs qu’ils sont inutiles par leur sur-production passerait mal. Pourtant c’est vrai: la plupart destinent leur « production » à l’exportation, or produire pour exporter est économiquement dangereux parce qu’il suffit qu’un exportateur ait de meilleurs prix pour ruiner un producteur. C’est ce qui se passe en France depuis ces 30 dernières années. Donc on subventionne les exportations, c’est à dire qu’on finance les éleveurs pour qu’ils aient des prix plus attractifs pour exporter: plus clairement, les producteurs exportent au prix du marché (peu élevé à cause de la surproduction), la collectivité payant la différence entre ce prix de marché et le coût de production. Par exemple (grossièrement et en très raccourci), si le prix du marché est à 1,50€ le kilo de porc, et que le coût de revient est à 2,50€ le kilo, l’Etat (ou l’UE) attribue à l’éleveur 1€.
Normalement ce mécanisme permet d’éviter à l’éleveur de subir de plein fouet les variations de prix du marché parfois violentes et de devoir mettre la clé sous la porte. Ce mécanisme devrait en principe être temporaire, laissant au producteur le temps d’adapter ses pratiques d’élevage, typiquement soit en augmentant son rendement pour améliorer sa rentabilité, soit en réduisant sa production pour que les prix remontent. Et si ça ne suffit pas, il devrait en principe envisager de reconvertir son activité (produire tel type de produits au lieu d’un autre) ou la réorienter pour sortir du lot (c’est par exemple le cas avec les producteurs de viande de boeuf de Kobé https://fr.wikipedia.org/wiki/B%C5%93uf_de_Kobe ). En France/Europe, ce n’est pas ce qui se passe. L’obtention d’une subvention est devenue une fin en soi, peu importe le prix final du marché (c’est valable pour tous les produits agricoles, pas seulement la viande). La PAC, qui devait garantir l’indépendance alimentaire de l’UE par une politique de production raisonnée, est devenue une économie de rente sans vision sur l’avenir, sans politique de planification de la production en fonction de la consommation, comme ça devrait être le cas dans une économie socialiste où l’on répond au besoin avant de voir le profit (valable aussi en économie capitaliste, mais avec une structure de marché différente; nous sommes sensés être dans une économie de type socialiste en Europe, c’est à dire avec une production planifiée pour répondre aux besoins sociaux).
Economiquement parlant, on ne devrait même plus produire de viande en France, hormis quelques produits très spécifiques, liés à nos terroirs (saucissons, charcuteries, produits régionaux AOC…). Les coûts de revient sont trop chers, en raison du poids des impôts, des coûts de crédits, et des critères de qualité qui n’apportent pas grand chose comparés à ceux des viandes qu’on importe. Pourtant, on vient encore parler d’apporter de l’aide à nos agriculteurs, de soutenir par des politiques d’aides publiques des prix déjà trois fois trop élevés pour des consommateurs qui vont donc devoir payer avec leurs impôts pour de la viande qu’ils n’ont pas les moyens d’acheter.

Qui peut croire que ce genre d’économie est soutenable dans la durée, quand on rase la forêt amazonienne pour produire le soja qui nourrit nos bêtes (et surtout les corals américains)?

Faut vraiment continuer comme ça?

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